par chibougue » 23 oct. 2017, 22:53
Ma blonde et moi sommes prêts à traverser bien des épreuves, bien des tourments l'un pour l'autre. Je me souviens de la fois où je l'ai amenée à un concert du saxophoniste Tim Berne et son groupe Snakeoil. Nous étions assis juste en face de Berne et de son clarinettiste Oscar Noriega qui nous envoyaient le feu de leurs notes discordantes (et leur salive!) en plein visage. Ma pauvre compagne était restée médusée devant ces musiciens qui se débattaient comme des diables dans l'huile de serpent avec leurs partitions à la fois complexes et chaotiques. Il faut dire que je lui en devais bien une: elle m'avait amené à un spectacle de Michel Louvain l'année précédente.
Pour revenir à Snakeoil, j'ai accroché à leur proposition dès leur premier album éponyme paru en 2012. Je découvrais un quatuor (en plus de Berne et Noriega, la formation compte dans ses rangs le batteur Ches Smith et le pianiste Matt Mitchell) qui apportait un souffle original et rafraîchissant dans le petit monde du jazz contemporain. Même si elle laisse de la place pour l'improvisation, la musique que Berne compose pour le quatuor est très écrite. Son côté labyrinthique et imprévisible me fait surtout penser à l'univers de Frank Zappa. Elle s'inspire également de la musique de chambre des compositeurs du vingtième siècle (l'école de Vienne, notamment) et du free jazz le plus furieux. Un beau monde tout en contrastes, quoi!
"Shadow Man", la deuxième offrande du quartet m'avait un peu moins impressionné. J'y trouvais la musique du groupe un peu lourde et j'avais l'impression que ses méandres sinueux n'en finissaient plus de tourner en rond. Par contre, je classe encore "You've Been Watching Me", le troisième album du groupe, au sommet de sa courte discographie. L'ajout du guitariste Ryan Ferreira y est pour quelque chose. Grâce à son travail sur la texture sonore, la musique de Snakeoil penchait davantage du côté des ambiances mystérieuses remplies de tension et devenait plus cinématographique.
ECM vient de faire paraître un quatrième album de Snakeoil intitulé "Incidentals". Il a été enregistré lors des mêmes sessions que "You've Been Watching Me". Boum créatif intense pour Berne et ses sbires! On retrouve donc encore le quintet dans lequel sévit la guitare de Ferreira. Son jeu est encore très atmosphérique, mais il se permet quelques attaques plus corsées de temps à autres. Comme nous avons droit, une fois de plus, à une musique hautement imprévisible, ses collègues sont tout aussi versatiles.
Noriega et Mitchell impressionnent comme toujours (surtout ce dernier qui est un des pianistes les plus techniquement solides de sa génération), mais je trouve que le très imaginatif Ches Smith tire particulièrement son épingle du jeu sur "Incidentals". Tirant le maximum de couleurs d'un kit de percussions très étendu, il peut tantôt parler aux fées avec des sons de clochettes ténus comme l'air, tantôt donner naissance à un cataclysme dont l'intensité serait difficilement mesurable sur l'échelle de Richter.
Bien sûr, Tim Berne lui-même n'est pas en reste. La musique qu'il écrit a beau être cérébrale, il la joue avec beaucoup de passion. Lorsqu'il atteint ces sommets émotionnels, je ferme les yeux et je peux le voir en train de jouer son saxophone dans un donjon dont les murs s'écroulent, dont les couloirs se remplissent d'eau. Il est debout, imperturbable et les sons enflammés qui sortent de son instrument traversent le déluge en suivant les chemins sinueux du labyrinthe qui s'affaisse pour se rendre jusqu'à nous.
Berne, le compositeur, brille également de tous ses feux sur ce disque. Ses compositions complexes sont remplies de surprises. Ce sont de véritables montagnes russes sonores qui nous font vivre des sentiments très forts. Le calme céleste côtoie le pure chaos. J'avoue avoir une préférence pour les moments plus paisibles comme ceux qui ouvrent l'album ou les drones spatiaux de la pièce intitulée "Sideshow". D'ailleurs ce morceau de vingt-six minutes est un parfait condensé du monde de Tim Berne. On y retrouve tout ce qui caractérise sa musique étourdissante et encore plus!
Je vous entends déjà me demander ce que mon amoureuse pense de cet album. Pour dire vrai, je n'ai pas oser le faire jouer en sa présence. J'ai trop peur qu'elle me sorte ses compilations de Michel Louvain pour se venger!
https://www.ecmrecords.com/catalogue/14 ... s-snakeoil
Ma blonde et moi sommes prêts à traverser bien des épreuves, bien des tourments l'un pour l'autre. Je me souviens de la fois où je l'ai amenée à un concert du saxophoniste Tim Berne et son groupe Snakeoil. Nous étions assis juste en face de Berne et de son clarinettiste Oscar Noriega qui nous envoyaient le feu de leurs notes discordantes (et leur salive!) en plein visage. Ma pauvre compagne était restée médusée devant ces musiciens qui se débattaient comme des diables dans l'huile de serpent avec leurs partitions à la fois complexes et chaotiques. Il faut dire que je lui en devais bien une: elle m'avait amené à un spectacle de Michel Louvain l'année précédente.
https://www.youtube.com/watch?v=MKW_ZDPtbcs
Pour revenir à Snakeoil, j'ai accroché à leur proposition dès leur premier album éponyme paru en 2012. Je découvrais un quatuor (en plus de Berne et Noriega, la formation compte dans ses rangs le batteur Ches Smith et le pianiste Matt Mitchell) qui apportait un souffle original et rafraîchissant dans le petit monde du jazz contemporain. Même si elle laisse de la place pour l'improvisation, la musique que Berne compose pour le quatuor est très écrite. Son côté labyrinthique et imprévisible me fait surtout penser à l'univers de Frank Zappa. Elle s'inspire également de la musique de chambre des compositeurs du vingtième siècle (l'école de Vienne, notamment) et du free jazz le plus furieux. Un beau monde tout en contrastes, quoi!
"Shadow Man", la deuxième offrande du quartet m'avait un peu moins impressionné. J'y trouvais la musique du groupe un peu lourde et j'avais l'impression que ses méandres sinueux n'en finissaient plus de tourner en rond. Par contre, je classe encore "You've Been Watching Me", le troisième album du groupe, au sommet de sa courte discographie. L'ajout du guitariste Ryan Ferreira y est pour quelque chose. Grâce à son travail sur la texture sonore, la musique de Snakeoil penchait davantage du côté des ambiances mystérieuses remplies de tension et devenait plus cinématographique.
https://www.youtube.com/watch?v=cRFLP5YZBy8
ECM vient de faire paraître un quatrième album de Snakeoil intitulé "Incidentals". Il a été enregistré lors des mêmes sessions que "You've Been Watching Me". Boum créatif intense pour Berne et ses sbires! On retrouve donc encore le quintet dans lequel sévit la guitare de Ferreira. Son jeu est encore très atmosphérique, mais il se permet quelques attaques plus corsées de temps à autres. Comme nous avons droit, une fois de plus, à une musique hautement imprévisible, ses collègues sont tout aussi versatiles.
Noriega et Mitchell impressionnent comme toujours (surtout ce dernier qui est un des pianistes les plus techniquement solides de sa génération), mais je trouve que le très imaginatif Ches Smith tire particulièrement son épingle du jeu sur "Incidentals". Tirant le maximum de couleurs d'un kit de percussions très étendu, il peut tantôt parler aux fées avec des sons de clochettes ténus comme l'air, tantôt donner naissance à un cataclysme dont l'intensité serait difficilement mesurable sur l'échelle de Richter.
Bien sûr, Tim Berne lui-même n'est pas en reste. La musique qu'il écrit a beau être cérébrale, il la joue avec beaucoup de passion. Lorsqu'il atteint ces sommets émotionnels, je ferme les yeux et je peux le voir en train de jouer son saxophone dans un donjon dont les murs s'écroulent, dont les couloirs se remplissent d'eau. Il est debout, imperturbable et les sons enflammés qui sortent de son instrument traversent le déluge en suivant les chemins sinueux du labyrinthe qui s'affaisse pour se rendre jusqu'à nous.
Berne, le compositeur, brille également de tous ses feux sur ce disque. Ses compositions complexes sont remplies de surprises. Ce sont de véritables montagnes russes sonores qui nous font vivre des sentiments très forts. Le calme céleste côtoie le pure chaos. J'avoue avoir une préférence pour les moments plus paisibles comme ceux qui ouvrent l'album ou les drones spatiaux de la pièce intitulée "Sideshow". D'ailleurs ce morceau de vingt-six minutes est un parfait condensé du monde de Tim Berne. On y retrouve tout ce qui caractérise sa musique étourdissante et encore plus!
Je vous entends déjà me demander ce que mon amoureuse pense de cet album. Pour dire vrai, je n'ai pas oser le faire jouer en sa présence. J'ai trop peur qu'elle me sorte ses compilations de Michel Louvain pour se venger!
https://www.youtube.com/watch?v=lgc5p57ecrA
https://www.ecmrecords.com/catalogue/1496998967/incidentals-tim-bernes-snakeoil