par chibougue » 27 mars 2018, 20:57
Un habitué du blogue d'Alain Brunet sur La Presse - l'ancienne maison des Hédonistes - avait un jour eu l'idée de traduire librement le terme anglais "grower" par "croissant". L'expression désigne un album qui, a la première écoute, ne nous convainc que légèrement, mais qui exerce sur nous un attrait mystérieux qui fait qu'on ne peut s'empêcher d'y revenir. Au fil des écoutes, le disque révèle ses trésors et devient une oeuvre dont nous ne pouvons plus nous passer. Souvent, ces albums qui sont venus à bout de nos résistances s'avèrent être ceux qui nous marquent le plus fortement.
Pour moi, le croissant de ce début d'année est sans contredit "Lionheart", premier album solo de la chanteuse américaine H.C. McEntire. L'engouement critique entourant ce disque à sa sortie a piqué mon intérêt et j'ai écouté la courte (trente-cinq minutes) galette dans les jours qui ont suivi. Les compositions en tant que telles et la voix de McEntire me plaisaient mais les arrangements country étaient trop sages et la production trop propre à mon goût. Habituellement, je préfère mon country avec un peu plus de boue sur les bottes et un peu plus de tourbe dans le whisky.
H.C. McEntire, l'artiste, m'intriguait tout de même et je me suis tourné vers son matériel avec les groupes Bellafea et Mount Moriah, deux formations dont elle fait partie. C'est là, surtout chez Mount Moriah, que j'ai trouvé ce que cherchais. Les racines musicales du trio trempent autant dans le country-folk que dans un rock garage plus crasseux. J'ai alors compris que faire un disque solo n'avait aucun intérêt pour H.C. McEntire si elle ne s'éloignait pas des plates-bandes boueuses qu'elle occupe habituellement avec son groupe. Ce que je ne savais pas encore, c'est qu'elle avait d'excellentes raisons de le faire.
McEntire vient de la Caroline du Nord, un des états les plus conservateurs du sud des État-Unis. Elle y a grandi au son de la musique country et des sermons des églises chrétiennes. Elle habite toujours dans cet état qu'elle aime de tout son coeur malgré le fait qu'à cause de son homosexualité, elle soit elle-même victime de l'étroitesse d'esprit qui y règne. Une partie de sa famille ne l'a toujours pas acceptée et la considère probablement comme une brebis égarée. Il était temps pour la jeune chanteuse de prendre le taureau par les cornes et de détourner les codes du country - genre musical faisant partie de son ADN - afin de dire au monde qui elle est.
Ce faisant, elle couche sur des musiques country des mots rarement accolés au genre. "I have found heaven in a woman's touch. Come to me now, I'll make you blush", dit-elle sur la pièce qui ouvre l'album. "I can only feel your heart through your dress in the dark", chante-elle sur la dernière. Des mots d'amour qu'une femme adresse à une autre femme. Elle parle aussi de sa souffrance d'être rejetée par une terre qu'elle aime: "Mama, I dreamed that I had no hand to hold and that the land I cut my teeth on wouldn't let me call it home", entend-on sur "When you Come for Me". Au pasage, je dois dire que les textes de madame McEntire sont très bien ficelés, remplis de poésie évocatrice et d'imagerie biblique. Encore une fois, elle s'approprie un langage habituellement utilisé par des gens qui la condamnent et s'en sert pour parler d'elle.
Du point de vue musical, il n'y a rien de faible sur "Lionheart". J'avoue avoir particulièrement craqué pour "A Lamb, a Dove", un gospel bien senti que je verrais bien chanté par une Patti Smith. "Wild Dogs", avec la harpe de Mary Lattimore et les choeurs d'Angel Olsen (qui lui renvoie l'ascenseur: McEntire était choriste pour Olsen lors de sa dernière tournée) a aussi une place spéciale dans mon coeur. Idem pour les pièces country plus up tempo que sont "Yellow Roses" et "Quartz in the Valley". En fin de parcours, la plus sombre "One Great Thunder" et la splendide "Dress in the Dark" donnent au disque une conclusion des plus fortes.
"Lionheart" est bel et bien un croissant tout ce qu'il y a de plus nourrissant, un album que j'ai tout d'abord pris pour une offrande country conventionnelle, mais qui, écoute après écoute, s'est avérée être une oeuvre qui joue subtilement avec les traditions et qui, surtout, va droit au coeur.
[img]https://cps-static.rovicorp.com/3/JPG_500/MI0004/359/MI0004359048.jpg?partner=allrovi.com[/img]
Un habitué du blogue d'Alain Brunet sur La Presse - l'ancienne maison des Hédonistes - avait un jour eu l'idée de traduire librement le terme anglais "grower" par "croissant". L'expression désigne un album qui, a la première écoute, ne nous convainc que légèrement, mais qui exerce sur nous un attrait mystérieux qui fait qu'on ne peut s'empêcher d'y revenir. Au fil des écoutes, le disque révèle ses trésors et devient une oeuvre dont nous ne pouvons plus nous passer. Souvent, ces albums qui sont venus à bout de nos résistances s'avèrent être ceux qui nous marquent le plus fortement.
Pour moi, le croissant de ce début d'année est sans contredit "Lionheart", premier album solo de la chanteuse américaine H.C. McEntire. L'engouement critique entourant ce disque à sa sortie a piqué mon intérêt et j'ai écouté la courte (trente-cinq minutes) galette dans les jours qui ont suivi. Les compositions en tant que telles et la voix de McEntire me plaisaient mais les arrangements country étaient trop sages et la production trop propre à mon goût. Habituellement, je préfère mon country avec un peu plus de boue sur les bottes et un peu plus de tourbe dans le whisky.
H.C. McEntire, l'artiste, m'intriguait tout de même et je me suis tourné vers son matériel avec les groupes Bellafea et Mount Moriah, deux formations dont elle fait partie. C'est là, surtout chez Mount Moriah, que j'ai trouvé ce que cherchais. Les racines musicales du trio trempent autant dans le country-folk que dans un rock garage plus crasseux. J'ai alors compris que faire un disque solo n'avait aucun intérêt pour H.C. McEntire si elle ne s'éloignait pas des plates-bandes boueuses qu'elle occupe habituellement avec son groupe. Ce que je ne savais pas encore, c'est qu'elle avait d'excellentes raisons de le faire.
McEntire vient de la Caroline du Nord, un des états les plus conservateurs du sud des État-Unis. Elle y a grandi au son de la musique country et des sermons des églises chrétiennes. Elle habite toujours dans cet état qu'elle aime de tout son coeur malgré le fait qu'à cause de son homosexualité, elle soit elle-même victime de l'étroitesse d'esprit qui y règne. Une partie de sa famille ne l'a toujours pas acceptée et la considère probablement comme une brebis égarée. Il était temps pour la jeune chanteuse de prendre le taureau par les cornes et de détourner les codes du country - genre musical faisant partie de son ADN - afin de dire au monde qui elle est.
https://www.youtube.com/watch?v=a8DoHlIVVQI
Ce faisant, elle couche sur des musiques country des mots rarement accolés au genre. "I have found heaven in a woman's touch. Come to me now, I'll make you blush", dit-elle sur la pièce qui ouvre l'album. "I can only feel your heart through your dress in the dark", chante-elle sur la dernière. Des mots d'amour qu'une femme adresse à une autre femme. Elle parle aussi de sa souffrance d'être rejetée par une terre qu'elle aime: "Mama, I dreamed that I had no hand to hold and that the land I cut my teeth on wouldn't let me call it home", entend-on sur "When you Come for Me". Au pasage, je dois dire que les textes de madame McEntire sont très bien ficelés, remplis de poésie évocatrice et d'imagerie biblique. Encore une fois, elle s'approprie un langage habituellement utilisé par des gens qui la condamnent et s'en sert pour parler d'elle.
Du point de vue musical, il n'y a rien de faible sur "Lionheart". J'avoue avoir particulièrement craqué pour "A Lamb, a Dove", un gospel bien senti que je verrais bien chanté par une Patti Smith. "Wild Dogs", avec la harpe de Mary Lattimore et les choeurs d'Angel Olsen (qui lui renvoie l'ascenseur: McEntire était choriste pour Olsen lors de sa dernière tournée) a aussi une place spéciale dans mon coeur. Idem pour les pièces country plus up tempo que sont "Yellow Roses" et "Quartz in the Valley". En fin de parcours, la plus sombre "One Great Thunder" et la splendide "Dress in the Dark" donnent au disque une conclusion des plus fortes.
https://www.youtube.com/watch?v=4m-Ectbqjs0
"Lionheart" est bel et bien un croissant tout ce qu'il y a de plus nourrissant, un album que j'ai tout d'abord pris pour une offrande country conventionnelle, mais qui, écoute après écoute, s'est avérée être une oeuvre qui joue subtilement avec les traditions et qui, surtout, va droit au coeur.