par chibougue » 07 mai 2019, 21:44
Je me souviens d'une entrevue à la télé dans laquelle Norman Mailer, figure incontournable de la littérature américaine, avouait abhorrer le plastique. Il ne justifiait pas cette haine par des motifs écologiques; il détestait simplement toucher cette matière si peu "naturelle" à son goût. Ces idées du grand auteur trouvaient résonance chez moi qui, par exemple, avais toujours préféré mes disques compacts à l'intérieur d'un digipack en carton au lieu du traditionnel boîtier en plastique.
Il y a plusieurs raisons de ne pas porter le plastique dans son coeur. Les raisons environnementales déjà évoquées figurent en tête de liste. Jusqu'à quand continueront nous d'extraire le pétrole nécessaire à sa fabrication des entrailles de la Terre? Jusqu'à ce que nos vieilles bouteilles d'eau usagées recouvrent l'entièreté de nos océans? Comme Norman Mailer, on peut aussi lui reprocher son manque de naturel. Le terme "plastique" n'est-il pas devenu synonyme d'artificiel. Ne désigne-t-il pas tout ce que notre société moderne a de plus superficiel?
Pour leur vingt-cinquième anniversaire en tant que couple et en tant qu'entité musicale, Drew Daniel et Martin C. Schmidt ont décidé de se faire (et de nous faire) un cadeau en plastique au lieu de célébrer, comme il se devrait, leur noces d'argent. Tous les sons que l'on peut entendre sur "Plastic Anniversary", la plus récente offrande du duo, proviennent donc d'objets de plastique qui ont servi d'instruments ou de sources sonores modifiées par la suite. Voici un petit échantillon de ce que les deux lascars ont utilisé pour la création de cette oeuvre: des disques en vinyle, une carte de guichet automatique, des dominos, un bouclier anti-émeute (!), des blocs légo, un implant mammaire en silicone (!!), un bol à salade, des jetons de poker, du gras humain synthétique (!!!), des bouteilles de plastique...
Ce concept de base qui frappe l'imagination pourrait prendre toute la place et faire passer la musique au second plan. Heureusement, ce n'est pas le cas. Les compositions du duo sont assez fortes pour prendre le dessus et nous faire oublier tout l'attirail qui a permis leur création. "Breaking Bread", la pièce qui ouvre l'album en est un bon exemple. Elle a été conçue à partir d'échantillonnages de bruits de vinyles du groupe de soft-rock Bread que l'on cassait en morceaux, d'où son titre. L'idée est ingénieuse et amusante, mais pas besoin de la connaître pour apprécier la pièce au rythme syncopé et aux sonorités un brin bruitistes, mais surtout ludiques.
Et il va de même pour toute la durée de cette fête du plastique. Encore une fois, Daniel et Schmidt nous démontrent qu'ils sont à l'aise dans des registres très variés de la musique électronique: IDM, noise, musique concrète, indus corrosif (sur le fort réussi "Thermoplastic Riot Sheild"), passages orchestraux synthétiques (sur l'excellente pièce-titre) et rêveuse finale ambient avec "Platisphere" qui clôt l'album de bien belle façon. Ce qui impressionne toujours avec Matmos, c'est cette façon qu'ils ont de faire de la musique (relativement) accessible à partir de concepts intellectuels plus poussés.
Norman Mailer se retourne peut-être dans sa tombe, mais nous sommes en pleine époque plastique et Matmos réussit à le célébrer, mais avec ironie car message écologique, il y a bel et bien. Les profits de l'édition vinyle deluxe de l'album vont d'ailleurs à l'organisme The Ocean Cleanup. Expérimental tout en étant ludique, conscientisé tout en étant plastique, le duo électro nous livre un de ses disques les plus aboutis.
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Je me souviens d'une entrevue à la télé dans laquelle Norman Mailer, figure incontournable de la littérature américaine, avouait abhorrer le plastique. Il ne justifiait pas cette haine par des motifs écologiques; il détestait simplement toucher cette matière si peu "naturelle" à son goût. Ces idées du grand auteur trouvaient résonance chez moi qui, par exemple, avais toujours préféré mes disques compacts à l'intérieur d'un digipack en carton au lieu du traditionnel boîtier en plastique.
Il y a plusieurs raisons de ne pas porter le plastique dans son coeur. Les raisons environnementales déjà évoquées figurent en tête de liste. Jusqu'à quand continueront nous d'extraire le pétrole nécessaire à sa fabrication des entrailles de la Terre? Jusqu'à ce que nos vieilles bouteilles d'eau usagées recouvrent l'entièreté de nos océans? Comme Norman Mailer, on peut aussi lui reprocher son manque de naturel. Le terme "plastique" n'est-il pas devenu synonyme d'artificiel. Ne désigne-t-il pas tout ce que notre société moderne a de plus superficiel?
https://www.youtube.com/watch?v=VUS37Xm5xxo
Pour leur vingt-cinquième anniversaire en tant que couple et en tant qu'entité musicale, Drew Daniel et Martin C. Schmidt ont décidé de se faire (et de nous faire) un cadeau en plastique au lieu de célébrer, comme il se devrait, leur noces d'argent. Tous les sons que l'on peut entendre sur "Plastic Anniversary", la plus récente offrande du duo, proviennent donc d'objets de plastique qui ont servi d'instruments ou de sources sonores modifiées par la suite. Voici un petit échantillon de ce que les deux lascars ont utilisé pour la création de cette oeuvre: des disques en vinyle, une carte de guichet automatique, des dominos, un bouclier anti-émeute (!), des blocs légo, un implant mammaire en silicone (!!), un bol à salade, des jetons de poker, du gras humain synthétique (!!!), des bouteilles de plastique...
https://www.youtube.com/watch?v=ilq8HsRk2BQ
Ce concept de base qui frappe l'imagination pourrait prendre toute la place et faire passer la musique au second plan. Heureusement, ce n'est pas le cas. Les compositions du duo sont assez fortes pour prendre le dessus et nous faire oublier tout l'attirail qui a permis leur création. "Breaking Bread", la pièce qui ouvre l'album en est un bon exemple. Elle a été conçue à partir d'échantillonnages de bruits de vinyles du groupe de soft-rock Bread que l'on cassait en morceaux, d'où son titre. L'idée est ingénieuse et amusante, mais pas besoin de la connaître pour apprécier la pièce au rythme syncopé et aux sonorités un brin bruitistes, mais surtout ludiques.
Et il va de même pour toute la durée de cette fête du plastique. Encore une fois, Daniel et Schmidt nous démontrent qu'ils sont à l'aise dans des registres très variés de la musique électronique: IDM, noise, musique concrète, indus corrosif (sur le fort réussi "Thermoplastic Riot Sheild"), passages orchestraux synthétiques (sur l'excellente pièce-titre) et rêveuse finale ambient avec "Platisphere" qui clôt l'album de bien belle façon. Ce qui impressionne toujours avec Matmos, c'est cette façon qu'ils ont de faire de la musique (relativement) accessible à partir de concepts intellectuels plus poussés.
https://www.youtube.com/watch?v=zWO2VdDqdXE
Norman Mailer se retourne peut-être dans sa tombe, mais nous sommes en pleine époque plastique et Matmos réussit à le célébrer, mais avec ironie car message écologique, il y a bel et bien. Les profits de l'édition vinyle deluxe de l'album vont d'ailleurs à l'organisme The Ocean Cleanup. Expérimental tout en étant ludique, conscientisé tout en étant plastique, le duo électro nous livre un de ses disques les plus aboutis.