Barre Phillips - End to End

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Barre Phillips - End to End

par chibougue » 03 oct. 2018, 22:45

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Il y a presque cinquante ans, en novembre 1968, était enregistré le premier album de contrebasse solo de l'histoire. Il s'intitulait "Journal Violone" et était l'oeuvre du musicien californien Barre Phillips, un révolutionnaire tranquille qui allait faire évoluer l'art de cet instrument de façon considérable. Quelques années plus tard, Phillips dira de ce disque et des autres en solo qu'il allait faire paraître par la suite qu'ils sont, pour lui, comme les pages d'un journal intime. On peut aujourd'hui lire la dernière page de ce journal: l'album "End to End" que l'étiquette ECM vient tout juste de publier.

Phillips se fit tout d'abord remarquer en jouant auprès de quelques grands de la scène jazz américaine dans les années soixante: Archie Shepp, Eric Dolphy, Jimmy Giuffre, Lee Konitz, Mal Waldron... Pourtant, il n'arrivait pas à se définir comme un musicien jazz. À la fin de la décennie, il déménagea d'ailleurs ses pénates vers une terre où il se sentait moins extra-terrestre sur le plan musical: la Grande-Bretagne. Il y rencontra des artistes qui, comme lui, provenaient autant du jazz que de la musique dite contemporaine et qui privilégiaient l'improvisation par dessus tout. En compagnie d'Evan Parker, John Surman, Derek Bailey et consorts, il y participa donc à l'élaboration de la scène free improv britannique.

Que ce soit à Londres ou dans le sud de la France où il est établit depuis plusieurs années, Phillips n'a cessé de défricher de nouveaux terrains musicaux avec son instrument. Trois ans après "Journal Violone", il faisait équipe avec un autre géant de la contrebasse: Dave Holland. ECM, que Manfred Eicher venait de fonder, publia le fruit de leur travail: "Music from two Basses", premier enregistrement pour deux contrebassistes à voir le jour et un des mes albums favoris de tous les temps. Toujours en 1971, notre homme rassemblait autour de lui une formation pour le moins inusitée: trois autres contrebassistes (Barry Guy, Jean-François Jenny-Clark et Palle Danielsson) et un batteur (Stu Martin) pour créer un album des plus originaux: "For All It Is". De telles aventures allait inspirer de nombreux praticiens de la contrebasse des deux côtés de l'Atlantique.

À l'été 2016, Manfred Eicher recevait un appel de la part de Phillips. Le musicien a développé une grande confiance envers le réalisateur (Eicher lui-même est, à la base, contrebassiste et ils se sont croisés dans un club berlinois bien avant la fondation de ECM). Phillips annonçait à son ami que passé quatre-vingt ans, il était prêt à écrire l'ultime page de son journal. Donc, après "Journal Violione" (1968), "Call Me when You Get There" (1983), "Camouflage" (publié par l'étiquette québécoise Victo en 1989) et "Journal Violone 9" (2001), Barre Phillips allait enregistrer son cinquième disque en solo, "End to End", un album que l'on peut écouter depuis quelques jours.



L'opus se divise en trois sections: "Quest", "Inner Door", et "Outer Window". Évocateurs, les titres sont de Phillips bien que ce découpage de l'oeuvre soit également dû à la présence de monsieur Eicher derrière la console. C'est lui qui a donné sa forme à l'album en agençant les différentes pièces jouées par le contrebassiste. Le jeu de ce dernier est également mis en valeur de façon exceptionnelle par le producteur que l'on sait maniaque de qualité sonore. Bien que ce soit un disque solo, "End to End" est donc le fruit d'un travail de collaboration active entre les deux hommes.

Selon moi, cet album est un essentiel auquel tout mélomane sérieux devrait porter l'oreille. Pourquoi? Parce que nous y retrouvons la quintessence de l'art d'un grand maître. "End to End" ne sonne jamais comme la conclusion d'un cycle ou l'aboutissement d'une carrière. Il s'agit plutôt de la continuation d'une quête qui porte l'artiste à aller toujours plus à l'essentiel. Dès les premières notes de la bien nommée "Quest" nous sommes happés par la justesse et la souplesse du jeu de Phillips. Sa musique en impose, se saisit de toute notre concentration. Que ce soit lorsqu'il fait danser ses cordes de façon solennelle ou qu'il les caresse avec son archet pour en tirer des sonorités qui semblent avoir traversé les siècles pour venir jusqu'à nous.

Barre Phillips est un calligraphe zen qui après des décennies de travail réussit à faire entrer le cosmos en entier dans un simple trait tracé à l'encre noire sur une feuille de silence. "End to End" nous permet d'apprécier un art qu'il a mis une vie à peaufiner.

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