Big Fish Theory : Vince Staples, le nouveau roi du rap?

par chibougue

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chibougue
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Inscription : 24 mai 2017, 11:45

03 juil. 2017, 23:02

D'entrée de jeu, je dois dire que, peu importe le genre musical, je ne crois pas en la suprématie d'un roi ou d'un quelconque maître absolu. J'ai de la difficulté avec, par exemple, les fans de Radiohead pour qui les fameuses têtes de radios ne sont pas, tout simplement, leur groupe préféré, mais la meilleure formation musicale de l'univers entier. Toutefois, avec le rap, c'est différent. Le genre est rempli de gros égos qui jouent la game du "j'suis l'plus grand qu'le ghetto ait jamais vu". Jouons donc la game nous aussi...

Pour Barack Obama - peut-être pas le plus grand expert ès hip-hop qui soit mais un homme dont je respecte beaucoup le jugement (on ne peut pas en dire autant du fou furieux qui lui a succédé) - "Jay-Z's still the king" mais Kendrick Lamar et Chance the Rapper "are breaking new ground". Je n'ai pas encore entendu le nouveau Jay-Z, mais bon, depuis la bombe To Pimp a Butterfly, difficile de voir en d'autres que Lamar le roi du genre.

http://pitchfork.com/news/69388-obama-d ... ake-jay-z/


Sauf que DAMN, le dernier album du prodigieux Kendrick, a quelque peu refroidi mes ardeurs. Thématiquement parlant, la galette est très ambitieuse, mais d'un point de vue musicale, un peu moins. Moins que les albums qui l'ont précédée dans la discographie du MC en tout cas. Petite déception. Quand la barre est haute...

C'est alors que se pointe Vince Staples avec son gros poisson. Le jeune requin a déjà fait ses preuves: il est brillant, son flow véloce est impeccable et il le couche sur des musiques audacieuses. Preuves en sont l'album Summertime '06 et le ep Prima Donna. Perso, le type me plaît. Je dois dire que j'ai un faible pour les artistes cultivés qui renouvellent une forme musicale en l'amenant voir ailleurs.

Alors, cette théorie du gros poisson, ça rime à quoi au juste? Staples a toujours refusé d'expliquer ses textes; il dit préférer que l'auditeur se fasse sa propre interprétation. Lançons donc quelques lignes à l'eau. La première chose à laquelle on pense, c'est aux poissons rouges qui demeurent petits s'ils vivent dans un bocal alors qu'ils peuvent se développer à leur plein potentiel s'ils évoluent dans quelque chose de plus grand comme un bassin. La métaphore s'applique bien sûr aux Afro-Américains qui ne pourront s'épanouir pleinement que si la société dans laquelle ils vivent leur donne la chance de le faire. Ce thème n'est pas nouveau dans l'oeuvre de Staples. Malheureusement, il est toujours d'actualité.

On peut aussi voir dans cette image, Vince Staples, l'artiste qui évolue différemment selon les eaux musicales dans lesquelles il choisit de nager. C'est à ce niveau que Big Fish Theory représente une réelle évolution par rapport aux disques précédents du rappeur. Cette fois-ci, il se tourne vers le plancher de danse et la techno (surtout celle de Détroit). Staples s'est entouré de plusieurs producteurs qui proviennent davantage du la sphère électro que de celle du rap: Zach Sekoff, Flume, Sophie entre autres. Ça donne un disque à la fois dansant et expérimental. On se déhanche mais sur des sons grinçants, métalliques, corrosifs. Pas certain que ce soit la tasse de thé de l'amateur de hip hop moyen.



Cette dualité entre musique pour dance clubs et sonorités plus âpres souligne toutefois un autre aspect de la théorie du gros poisson: la relation entre l'artiste et les limites que lui imposent son art et la célébrité qui vient avec. Sur la troisième pièce de l'album, Alyssa Interlude, nous pouvons entendre un extrait d'entrevue avec la regrettée Amy Winehouse. Elle y parle de la relation qu'il y avait entre sa vie et son art ainsi que du côté auto-destructeur qui s'en dégageait. À mon sens, cet entretien échantillonné est une des clés de Big Fish Theory. Viens un temps où l'aquarium peut devenir trop petit pour le poisson.

Cette apparition posthume de la chanteuse soul est d'ailleurs un des caméos les plus marquants du disque. Comme tout bon album rap, Big Fish Theory regorge de "featurings" d'artistes invités: Bon Iver, Damon Albarn, A$AP Rocky... La plupart de ces participations sont succinctes et n'apportent pas grand chose à l'oeuvre. À mon sens, seulement deux des autres invités tirent leur épingle du jeu: Kendrick Lamar (eh oui...) sur Yeah Right (un de mes morceaux préférés de l'album) et Ty Dolla Sign sur la dernière chanson, Rain Come Down. Paradoxalement, la voix autotunée de ce dernier sur la conclusion de ce disque est un des éléments les plus humains et chaleureux de cette oeuvre souvent froide comme l'acier.



Tout cela concourt à créer une galette particulièrement solide qui sonne comme deux tonnes de brique (cette basse qui nous rentre dedans mes amis...). Contient-elle la fève qui fait de Vince Staples le nouveau roi du rap? Je crois que le principal intéressé trouverait la question bien futile. Néanmoins, pour moi, Big Fish Theory est le meilleur album rap que j'ai entendu depuis... mmm... To Pimp a Butterfly?

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jon8
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05 juil. 2017, 22:44

avec, par exemple, les fans de Radiohead pour qui les fameuses têtes de radios ne sont pas, tout simplement, leur groupe préféré, mais la meilleure formation musicale de l'univers entier.
ça me fait plutôt penser aux fans des Beatles...

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chibougue
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05 juil. 2017, 22:50

Il y a de ça chez les fans finis de Radiohead qui s'extasient tandis que le groupe s'accorde avant un spectacle, mais que oui... c'est encore plus prononcé chez les fans de Beatles. Que oui...

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jon8
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06 juil. 2017, 16:38

Radiohead, c'est pas le meilleur band de la galaxie ....mais du système solaire ça se défend vachement vu qu'aucune planète proche ne semble être habité.
;)

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chibougue
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06 juil. 2017, 19:47

Au moins, tu laisses une possibilité qu'il puisse exister un band extra-terrestre qui soit meilleur que Radiohead!



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chibougue
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06 juil. 2017, 20:14

Merci pour les liens, Verbo.

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chibougue
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18 juil. 2017, 08:04

Ce qu'Alain en dit:

http://www.lapresse.ca/arts/musique/cri ... enu-12.php


Très d'accord avec les quatre étoiles et demi.

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Luc
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20 juil. 2017, 12:12

Merci pour l'analyse, chibougue, et les liens complémentaires, verbo. Je n'avais pas encore écouté BFT; c'est fait, et ça tombe tout à fait dans ma talle. Ce hip hop électronisant est électrisant, avec ses textures et percussions synthétiques (Party People, c'est exceptionnellement réussi comme toune remuante, "Party people I like to see you groove"!), ses couplets aux voix qui semblent parfois parvenir d'une caverne en guimauve, et la voix de Kilo Kish, mwouarm! Et les textes de Staples, une ou deux coches au-dessus de la moyenne, puis sa voix qui se répand dans le canal auditif comme du caramel, ses intonations primales, son débit hypnotisant. Du grand art.