Chaque genre musical a une vie qui lui est propre. Il naît, grandit, brille de tous ses feux, s'épuise puis meurt ou se transforme. Le jazz a connu son heure de gloire dans les années cinquante: c'était l'apogée du be-bop. Les beatnicks, les rebelles et autres jeunes branchés de l'époque ne juraient que par cette musique. Beaucoup plus que sur le rock qui en était à ces premiers balbutiements. Créativement parlant, avec la transition vers d'autres formes grâce à Ornette Coleman, Charles Mingus, Miles Davis et John Coltrane, le genre était à son zénith. Puis, la chanson et le rock ont pris toute la place et le jazz est devenu une musique de niche.
Ensuite, au milieu des années soixante, ce fut l'âge d'or de la chanson folk avec, entre autres, Joan Baez, Fred Neil, Leonard Cohen, Tim Buckley (on parle de ses premiers disques) et surtout Bob Dylan qui révolutionna le genre grâce à sa poésie surréaliste juste avant de l'assassiner à grands coups de guitare électrique. Le rock pouvait alors se mettre à rayonner comme jamais avec, par exemple, Jimi Hendrix, les Who, les Kinks, les Doors et, bien sûr les Rolling Stones. C'était avant qu'il ne commence à se prendre au sérieux avec le rock progressif et le gros rock taillé pour les stades. Le rock qui se prend au sérieux? Parlez-moi d'une contradiction ridicule...
C'est à la fin des années quatre-vingt dix et au début du vingt-et-unième siècle que l'electronica a atteint son apogée. En effet, quelques décennies après l'arrivée de Silver Apples et de Kraftwerk, ce type de musique connaissait un essor créatif impressionnant grâce à des étiquettes de disques comme Warp (Autechre, Aphex Twin, Squarepusher, Boards of Canada) ou Ninja Tune (Coldcut, Amon Tobin, Cinematic Orchestra, Kid Koala...). On en garde un excellent souvenir!
Bien sûr, les genres musicaux mentionnés plus haut existent tous encore et des artistes pertinents et créatifs continuent d'y évoluer, mais on peu tout de même reconnaître, pour chacun de ces styles, une période de vitalité exceptionnelle suivie d'un déclin relatif. Parfois, le fait que des artistes poussent les limites du genre au maximum dans ces périodes de bouillonnement créatif contribue même au début de la fin de cet âge d'or. C'est la prix à payer pour avoir accoucher d'artistes qui aiment remettre les balises en question.
Présentement, nous sommes en plein âge d'or du rap. Le style est maintenant âgé d'une quarantaine d'années, mais c'est aujourd'hui qu'il fleurit comme jamais. Côté créativité, ça brasse: Danny Brown, Death Grips, Dälek, Vince Staples, Shabazz Palaces, Milo, Clipping, Run the Jewels sont autant de voix originales qui amènent le genre ailleurs pour mieux le renouveler. Même des gros noms plus commerciaux comme Migos, Kanye West, Tyler the Creator ou Pharell William nous proposent des disques qui suintent d'inventivité. Bien sûr, des pionniers comme Outkast, The Roots, Timbaland, Missy Eliott ou Antipop Consortium les ont précédé, mais de nos jours, on dirait bien que l'originalité est chose commune dans le hip-hop.
Il y a quelques temps, Roger Daltry des Who - vieux rockeur s'il en est un - disait: "rock has reached a dead end... the only people saying things that matter are the rappers." C'est surtout aux textes des rappeurs, par opposition à ceux des musiciens rock, qu'il faisait allusion. Il est vrai que côté réflexion, critique social et discours engagé, le rap nous a donné plusieurs voix des plus pertinentes ces derniers temps: A Tribe Called Quest, Joey Bada$$, Kendrick Lamar, Vince Staples, Mick Jenkins, Run the Jewels, Loyle Carner, Kate Tempest, Vince Staples, Chance the Rapper, Noname... La liste est longue!
L'importance qu'a pris le hip-hop de nos jours se mesure également a l'influence qu'il exerce sur les autres genres musicaux. Le jazz, l'électro, la soul de haut niveau et la pop mainstream ne sont plus les mêmes depuis qu'ils ont croisé le rap sur leur chemin. Ce style musical, que plusieurs voyaient encore comme un feu de paille il y a quelques années, a non seulement su durer, il a tout changer autour de lui!
Bien entendu, il y a encore des artistes qui ont quelque chose à dire sur l'état de notre monde hors de la sphère hip-hop (je pense notamment à mon cher Father John Misty). Il y a aussi des musiciens novateurs qui évoluent dans d'autres genres musicaux. Toutefois, force est d'admettre que le rap vit en ce moment une période exceptionnellement fastueuse et qu'il est devenu un joueur incontournable sur l'échiquier musical contemporain.