Ce qu'Annie Clark nous propose avec "MASSEDUCTION", ce n'est quand même pas une oeuvre porno, mais un regard critique sur ces animaux sociaux qui misent tout sur les apparences. En jetant un regard au clip de "Los Ageless", un des premiers extraits du disque, on voit bien qu'elle en a contre cette volonté qu'ont certaines personnes de ne pas vieillir, de rester jeune et, surtout, sexy aussi longtemps que possible. Le vieillissement ne semble pas être le seul problème des masses évoquées par St. Vincent. Sur "Pills", une autre des premières pièces auxquelles nous avons eu droit avant le lancement de l'album, elle nous parle des tonnes de pilules que tout ce beau monde gobe afin de fuir la réalité en se réfugiant dans une apathie volontaire.
On peut aussi prendre le titre de l'album d'Annie Clark à la lettre et se dire que son intention, avec cette nouvelle oeuvre est de séduire un public aussi vaste que possible en ayant recours au plus bas dénominateur musical commun: la pop radiophonique. Ne s'est-elle pas adjoint les services de Jack Antonoff (Fun, Lorde, P!nk, Taylor Swift...) afin d'en assurer la réalisation? À la première écoute de "MASSEDUCTON", ceux qui suivent la carrière de St. Vincent depuis quelques années remarqueront immédiatement une esthétique moins indie, moins expérimentale et plus pop up tempo.
Néanmoins, malgré la présence de Jack Antonoff, on peut affirmer sans se tromper que c'est bel et bien Annie Clark qui est en contrôle sur "MASSEDUCTION". Alors que Melodrama de Lorde sonne comme un disque de pop mainstream dont l'esthétique sonore est totalement celle du producteur, l'album de St. Vincent ratisse beaucoup plus large. On y distingue des influences rock, techno, disco électro façon Georgio Moroder, funk (plusieurs passages rappellent Prince), industrielles, music-hall, country (beau lap-steel sur quelques ballades) et noise (la guitare de madame Clark évoque souvent les dissonances d'un Adrian Belew ou d'un Robert Fripp): des sonorités qui ne font clairement pas partie de la palette d'Antonoff. La pop radio-friendly de ce dernier n'est qu'un ingrédient parmi tant d'autres.
Grâce à une richesse musicale que nous n'entendons guère sur les ondes de nos jours, "MASSEDUCTION" se distingue de la production pop actuelle. De plus, il se démarque de la courte discographie de St. Vincent grâce à une qualité que nous ne trouvions qu'en moindre quantité chez miss Clark, jusqu'à maintenant: son humanité. Exit, le personnage de femme-androïde de l'album précédent. La musicienne se montre plus vulnérable que jamais, surtout sur les ballades. Sa voix s'y brise, son chant y est moins parfait mais plus humain, quoi!
D'entrée de jeu, sur "Hang on Me", la pièce d'ouverture, cette voix plus fragile, bercée par de beaux arrangements de cordes, nous réconforte. "New York" est un autre moment fort du disque. Nous sommes touchés par la perte qu'elle ressent devant la disparition de David Bowie et de Leonard Cohen. La douleur, la mort, le suicide font partie des thèmes abordés sur l'album. C'est fait avec beaucoup de délicatesse, de doigté. Annie Clark ne fait pas que critiquer les pauvres mortels que nous sommes, elle éprouve de l'empathie pour eux. C'est aussi évident sur "Smoking Section" (ma pièce préférée du lot) qui clôt l'album de façon magistrale.
De la musique pour les masses, disions-nous? Que oui! Elles en ont tant besoin.