En début d'année, la chanteuse Aimee Mann lançait son excellent album "Mental Illness", un disque tout de même très "middle of the road" musicalement parlant. En entrevue, elle disait s'être inspirée de Bread, une des formations les plus emblématiques du soft rock dans les années soixante-dix. Elle avouait que plus jeune, comme elle venait du punk, elle avait tendance à rejeter cette musique, mais que dernièrement, en tournée avec son ami Ted Leo (un autre ancien punk), elle et lui s'était mis à écouter du Bread et à apprécier les chansons de ce band.
Le virage soft rock du musicien et producteur Jim O'Rourke est encore plus étonnant. C'est que cet Américain, qui demeure aujourd'hui au Japon, est un vieil habitué de la scène expérimentale. Il a autant collaboré avec le groupe rock (parfois noise) Sonic Youth que les maîtres du free que sont Peter Brötzmann et Keiji Haino. Sorti en 2015, son album "Simple Songs" le voyait embaucher des musiciens issus de l'avant-garde nippone pour concocter un soft rock très proche de ce qu'un groupe comme Fleetwood Mac pouvait produire dans les années soixante-dix.
On retrouve également l'empreinte de Fleetwood Mac sur quelques morceaux de "My Woman", dernier album de la jeune chanteuse Angel Olsen. Sur ce disque, Olsen délaissait l'approche lo-fi de ses premiers enregistrements pour un son plus poli. Encore une fois, le soft rock apparaissait là où on ne l'attendait pas. Comme sur "This Old Dog", la plus récente galette de l'idole d'une certaine jeunesse cool: Mac DeMarco. En effet, dans les entrevues qui ont suivi la sortie de l'album en mai dernier, le loser sympathique parlait de son admiration pour le vieux groupe américain Steely Dan dont le son jazzy gravitait résolument autour de la sphère soft rock dans les années soixante-dix.
Les années soixante-dix, l'âge d'or du genre, on les retrouvaient un peu partout sur "I Love You, Honeybear", le disque avec lequel j'ai découvert Josh Tillman alias Father John Misty en 2015. Apprécier cet album m'avait d'ailleurs demandé des efforts et du temps. Mes oreilles, trop habituées aux dérapages du free jazz et aux stridences de l'électro de pointe, se demandaient que faire de ces arrangements douillets issus d'une autre époque. L'album suivant de Misty, "Pure Comedy", était moins varié, plus théâtral, mais portait toujours la marque du soft rock, surtout celle d'Elton John.
Le cas le plus frappant demeure toutefois la collaboration entre le bassiste Thundercat - qui accompagne habituellement la crème des musiciens modernes comme Flying Lotus ou Kendrick Lamar - et deux voix marquantes du yacht rock (une variante du soft rock): Michael McDonald et Kenny Loggins. La chanson "Show You the Way" du jeune virtuose de la basse, met en vedette, en plus de la voix des deux chanteurs, tout le velours satiné, tout le sirop sucré caractéristique du genre musical qu'ils ont incarné dans son heure de gloire.
Comment expliquer la résurgence, et surtout la nouvelle coolitude, d'un type de musique qu'on trouvait si suspect par le passé? J'imagine que la nouvelle génération de musiciens qui n'a pas connu la naissance du mouvement punk ne sent pas le besoin de se positionner pour ou contre le soft rock. Elle peut passer des Ramones aux Bee Gees sans problème. Quant à eux, les plus vieux comme Aimee Mann ont grandi et ne sont plus aussi sectaires qu'ils ne l'étaient dans leur adolescence. On peut également avancer que si on le compare à la musique pop plus formatée qui sévit de nos jours, beaucoup de soft rock a été créé par des artisans doués qui avaient le souci de créer quelque chose de beau. Pourquoi s'en priverait-on?