J'emprunte ici le titre de la plus récente offrande de ce bon vieux Mononc' Serge parce qu'il décrit bien les réserves émises par certains journalistes au sujet de "Dirty Computer", dernier album de Janelle Monáe. En général, la réception critique dont a bénéficié ce disque a été dithyrambique. On se situe autour de la barre des quatre-vingt-dix pour cent sur Metacritic. Les critiques les plus louangeuses parlent d'une oeuvre sur laquelle la chanteuse se révèle plus que jamais tout en rivalisant, sur le plan musical, avec les meilleurs albums de Prince, un de ses mentors avoués.
Dans le coin opposé, quelques critiques ne partagent pas cet enthousiasme. On applaudit le courage et la spectaculaire sortie du placard de miss Monáe tout en déplorant les choix esthétiques de celle-ci qui, après nous avoir légué des disques de soul plutôt ambitieux, opte pour des musiques pop plus formatées, toutes faites pour la radio. "Force est de conclure que la variété des styles répertoriés dans ce Dirty Computer n'est pas servie par des environnement sonores aussi riches qu'auparavant," dit Alain Brunet dans son analyse de l'album pour La Presse. Sur The Line of Best Fit, Seb Law se pose, quant à lui, la question suivante: "Given the switch in tone, it feels like Monae is more comfortable in her skin and her sound, but is this a good thing for the music?" Le Guardian va dans le même sens.
J'avoue d'entrée de jeu que je suis dans le camp de ceux qui adorent. Même si, à la première écoute, j'étais loin d'être conquis. Trop radiophonique. Ce qui pour plusieurs personnes est une zone de confort bien balisée est, pour moi qui suis habitué à plus d'expérimentation, une zone d'inconfort. Mais ce que cette fille avait à dire, et l'aplomb avec lequel elle le présentait au public, m'intriguait. Mon penchant naturel pour le funk a fait le reste du travail. La musique présente sur ce "Dirty Computer" est fichtrement bien exécutée et bien produite. Plus conventionnelle sur le plan sonore? Peut-être, mais je ne crois pas que ça fasse de cet album un projet moins réussi que les précédents de la chanteuse comme certains l'ont avancé.
J'irais même jusqu'à dire qu'une partie de l'efficacité de ce disque est due au fait que son auteure ait choisi de lui donner cette couleur plus pop. Le message politique et social qu'elle veut transmettre prend ainsi tout son sens. Sur des rythmes funky irrésistibles, elle veut célébrer le fait d'être une femme noire et queer aux États-Unis aujourd'hui. À mes yeux, présenter ce message dans cet emballage rose bonbon a plus de sens que de le draper dans des musiques expérimentales moins accessibles. "Je suis une femme noire et je baise avec qui je veux," semble-t-elle nous dire sur des musiques susceptibles de jouer à la radio, d'être offertes au monde entier afin qu'il puisse danser dessus.
Ce "Dirty Computer" regorge de bon coups: que ce soit l'addictive "Crazy, Classic Life", la très chaude "Take a Byte", le rap bien senti de "Django Jane", le funkalicieux clin d'oeil à Prince qu'est "Make Me Feel", la touchante ballade "So Afraid" avec son introduction quasi-grunge ou la redoutablement efficace "I Got the Juice" créée avec l'omniprésent Pharrell Williams qui est ici en très grande forme. Un des seuls morceaux moins réussis est la très, très pop "Pynk", fruit d'une collaboration avec l'artiste canadienne Grimes. Je sens madame Monáe moins à l'aise sur ce morceau que je classerais davantage dans le rayon d'une pop plus adolescente.
Au final, une question me vient à l'esprit: si une artiste issue du monde de la pop franchement commerciale comme Rihanna, par exemple, avait accouché de "Dirty Computer", qu'en auraient dit les critiques? Ils se seraient probablement pâmés devant une oeuvre aussi culottée et en auraient fait un événement. Il ne se serait pas trouvé grand monde pour la trouver trop conventionnelle. Comme dans bien des domaines, tout est relatif. De mon côté, je suis heureux de voir Janelle Monáe abandonner le personnage d'androïde asexué qu'elle incarnait sur ses premiers albums. L'ordinateur est maintenant plus sale? Salace, même? On ne peut que s'en réjouir!
