La plus belle chose avec les listes de fin d'année, c'est qu'elles nous permettent de découvrir des trésors à côté desquels on était passé. Ou, comme dans le cas qui nous occupe avec cette chronique, de mieux apprécier des disques que l'on avait écouté un peu trop vite. À sa sortie au mois de mai, le premier album de la trompettiste Jaimie Branch m'avait plu. J'aimais sa folie et la qualité de son exécution. Puis, d'autres galettes ont attiré mon attention et je l'ai perdu de vue. Sa présence dans de nombreux bilans annuels (autant multi-genres que strictement jazz) m'a amené à le réécouter encore et encore car j'en suis devenu complètement accro.
Ça commence avec un quinze secondes de bruit. Mais quel est ce grincement d'origine inconnue? Est-ce qu'on s'en va vers un disque de free? De noise? De drone metal? Le temps de se poser ces questions, un rythme particulièrement enlevant prend le relais. C'est l'excellent Chad Taylor qui fait danser ses tambours, suivi de Jason Ajemian à la contrebasse et de Tomeka Reid (du trio Hear in Now qui faisait l'objet de ma dernière chronique) au violoncelle. Le "Theme 001" est lancé. Jaimee Branch fait alors rugir son irrésistible trompette. Elle chevauche la cadence comme un Miles Davis gavé de vitamines. Vers la fin du morceau, elle est accompagnée par une guitare folk sortie de nulle part. Mais où s'en va cet album?
La prochaine pièce s'amorce au son de la même guitare folk. Puis, petit à petit, les autres musiciens tirent des sons libres de leurs instrument. On vient encore de changer de paysage puisqu'on se retrouve en plein free jazz (toujours supporté par la guitare acoustique!). "Theme 002" nous ramène ensuite à la danse énergisante du premier thème. on y assiste à de très beaux échanges entre Branch et Reid. Ça se termine sur une jolie mélodie que le prochain morceau continue de développer mais, cette fois-ci, la trompettiste est accompagnée par deux cornettistes. Cette musique de chambre pour cuivres est de toute beauté. Le climat se fait toutefois de plus en plus étrange puisque de l'écho se rajoute. On voisine quelques instants l'atmospère d'"Ascenseur pour l'Échafaud" mais l'écho s'amplifie, des bruits bizarres se font entendre et on se retrouve avec un genre de free-dub jazzy qui donne froid dans le dos.
Les cordes se mettent alors à déraper. C'est un véritable glissement de terrain et c'est l'introduction de la très bien nommée "The Storm". La batteur envoie quelques déflagrations de foudre. La trompette, toujours aussi souple, se fraie un chemin à travers de cet atmosphère de plomb. Car oui, cette pièce est très, très heavy. Les titres suivants respirent plus. Branch y joue par moments en solo. Elle nous hypnotise avec son instrument avant que la danse ne reprenne de plus belle sur "Theme Nothing" où la trompettiste se montre particulièrement intense. Finalement, une voix annonce "Meanwhile, bak at ranch..." et la guitare folk est de retour pour la conclusion de l'album en territoire americana. Ouf...
Ce disque, sur lequel se rencontrent l'anticonformisme de la scène jazz de Chicago (l'AACM, Sun Ra, Rob Mazurek...) et l'esprit libre du punk, brille par son inventivité débordante et la grande maîtrise de son exécution. Il faut aussi noter le souci que Branch accorde au son de l'album. Les envolées de trompette, les roulements de tambour, les frottements de cordes, les étranges moments de turbulence sonore... "Fly or Die" a un son d'enfer d'un bout à l'autre!
Sommes-nous en présence du disque jazz de l'année qui vient de se clore comme le clament certains? Difficile à dire... Pour moi, une chose est tout de même certaine: Jaimie Branch est LA révélation jazz de 2017. Il est rare que des nouveaux venus amorcent leur carrière avec quelque chose d'aussi fort en partant. Maintenant, nous ne pouvons qu'avoir hâte de voir quelle(s) direction(s) elle prendra dans le cadre de ses projets à venir!
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