
Les amateurs de folk sont tombés sous le charme de la Californienne Alela Diane il y a une dizaine d'années. On la rattachait alors au mouvement freak folk, un renouveau du genre teinté de psychédélisme qui nous a également fait connaître des artistes aussi divers que Joanna Newson, Devendra Banhart, CocoRosie, Six Organs of Admittance et Akron/Family. Je trouve le lien un peu facile. La musique d'Alela Diane a toujours moins tendu vers l'expérimentation que celle des autres artistes susmentionnés. Cela ne veut pas dire que son folk manque de personnalité. Bien au contraire! Cette jolie chanson de pirates qu'on retrouvait sur son premier album en témoigne.
De le nostalgie pour une époque qui n'a probablement existé que dans les contes et légendes... Musicalement parlant, le folk dénudé qu'elle nous proposait à l'époque évoque les grandes ménestrelles intemporelles que sont Gillian Welch et Vashti Bunyan. Les chansons de "Cusp", son nouvel album sont beaucoup plus habillées. "Albatross", la première pièce au programme s'ouvre sur des notes de piano que viennent rejoindre des cordes et des cuivres. Ensuite, "Treshold" a des allures de bossa nova bercée par des flûtes enchanteresses. Puis, sur "Moves Us Blind", nous retrouvons la formation pop-rock classique: basse, guitare, batterie autour du piano de la chanteuse.
Ce n'est qu'avec la superbe "Émigré", qu'on se rapproche du son folk des premiers disques de la dame. La majorité des pièces de "Cusp" repose toutefois davantage sur le piano que sur les six cordes. La raison derrière cette nouvelle approche est toute simple: au moment de créer ce nouvel album, Diane s'est cassé l'ongle d'un pouce dont elle se servait pour jouer de la guitare. C'est fou ce qu'un événement qui pourrait tout d'abord sembler anodin peut avoir des conséquences plus importantes!
Un autre événement, beaucoup plus déterminant celui-là, a inspiré les chansons que l'on retrouve sur le nouvel album d'Alela Diane: il y a quelque années, l'artiste donnait naissance à son premier enfant. Sur chacune des pièces de "Cusp", elle raconte les choses du point de vue de la mère qu'elle est devenue. Alors qu'elle était en train d'enregistrer cette nouvelle fournée de chansons, elle a donné naissance a un deuxième enfant dans des circonstances plus difficiles. Elle a du accoucher de façon prématurée et faillit y laisser sa peau. C'est peut-être pourquoi tout n'est pas rose sur "Cusp": Alela Diane célèbre la vie mais n'oublie jamais que la mort en est indissociable.
Allons-y avec quelques exemples. Dans "Albatross", Diane parle de la douleur qu'elle ressent lorsqu'elle doit se séparer de ses enfants pour partir en tournée. "Émigré" aborde le sujet des migrants à travers la lentille de la maternité. Comment se fait-il que des mères en viennent à risquer la vie de leurs enfants pour avoir droit à une vie meilleure? Sur "Never Easy", la chansonnière avoue que le fait d'avoir des enfants lui a fait voir la relation avec sa propre mère sous un tout autre jour. "Song for Sandy" est à propos de la chanteuse du groupe folk britannique Fairport Convention, Sandy Denny, qui est décédée peu après être devenue mère.
Nous sommes décidément bien loin des histoires de pirates que la jeune femme racontait au début de sa carrière. Alela Diane a su évoluer de belle façon autant sur le plan de ce qu'elle dit dans ses textes que sur celui des musiques qu'elle choisit pour les habiller. C'est peut-être parce que je suis moi-même père de deux enfants qui ont à peu près le même âge que les siens, mais ce disque me touche tout particulièrement. Je dois tout de même ajouter que le mélomane en moi est également aux anges. Voilà un album bien écrit et arrangé divinement. On peut parler de la plus belle offrande d'Adela Diane jusqu'à maintenant ainsi qu'un des meilleurs albums de ce début d'année.