Il y a quelques temps, un bon ami à moi me parlait de son amour pour First Aid Kit, le duo que forment les soeurs Johanna et Klara Söderberg. Il me vantait le talent de Klara qui, d'après ses dires, était la plus grande voix depuis Nana Mouskouri (LA référence vocale pour mon ami). C'est donc avec une curiosité décuplée que j'ai approché "Ruins", le plus récent album du duo suédois. Je dois m'incliner : Klara est effectivement une chanteuse exceptionnelle. La musique que propose les frangines est, quant à elle, fort jolie. Du très bon folk-rock qui, en fait, évoque beaucoup plus Nashville que Stockholm.
Et c'est justement ce qui m'a fait sourciller à la première écoute du disque. À part la mention d'un lac gelé dans les paroles de "Fireworks", il n'y a absolument rien qui fasse penser à la Scandinavie là-dedans. Les filles chantent en anglais sur des musiques calquées sur ce qui s'est fait des centaines de fois en Amérique. Ça m'a fait penser aux fantasmes américains de plusieurs artistes français. Pour des myriades de Johnny Hallyday ou de Dick Rivers trop souvent ringards, combien d'Alain Bashung? Et ce qui distingue Bashung de ses compatriotes, n'est-ce pas le fait qu'il ait su coller sur ces musiques venues d'Amérique des mots issus d'une tradition poétique tout ce qu'il y a de plus française?
Comme Alain Bashung l'avait fait sur "Osez Joséphine", les soeurs Söderberg se sont entourées de musiciens américains talentueux afin de sonner comme la vraie patente. Derrière la console, on retrouve le producteur Tucker Martine (qui a, entre autres, travaillé avec My Morning Jacket). Le guitariste Peter Buck (R.E.M) et les batteurs Glenn Kotche (Wilco) et McKenzie Smith (Midlake) ont également mis la main à la pâte. Cela confère à "Ruins" un son plus americana que jamais et moins poli que celui de "Stay Gold" qui l'avait précédé dans la discographie des Suédoises.
Cette approche convient très bien à ce nouveau disque qui aborde des thèmes plus sombres que les autres albums du duo. La tournée qui avait suivi "Stay Gold" avait exténué les soeurettes qui en étaient venues à se distancer l'une de l'autre. De plus, l'album documente une rupture amoureuse vécue par Klara pour qui l'écriture de ces nouvelles chansons a été un exutoire. Et c'est qu'elles sont solides, ces compositions. Que du bon: que ce soit "Rebel Heart" avec ce côté psyché que lui confère l'orgue, la folk "To Live a Life", les plus enjouées "Postcard" et "It's a Shame", la poignante chanson-titre, l'exquise ballade doo-wop "Fireworks" ou l'intense "Nothing Has to Be True", dernier titre au programme sur lequel on se rend compte que Johanna n'a rien à envier à sa soeur sur le plan vocal.
Au final, ce sont ces voix bouleversantes et tout le senti que les frangines Söderberg ont su y injecter qui font qu'on finit par mettre de côté toutes considérations quant à l'authenticité de cette musique américaine concoctée par des Suédoises. First Aid Kit ne réinvente rien, mais la grâce et la sincérité qu'on retrouve d'un bout à l'autre de ces bien belles ruines sont capables de faire fondre les coeurs les plus sceptiques.