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Ma Main au Feu!

Publié : 05 févr. 2018, 22:42
par chibougue
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Je l'avoue d'entrée de jeu: depuis la dissolution de Sonic Youth, le trio jazz-rock suédois Fire! est mon groupe préféré. C'est d'ailleurs sur un disque de Thurston Moore et sa bande que j'ai entendu pour la première fois le saxophoniste Mats Gustafsson. "Andre Sider af Sonic Youth", sur lequel on retrouvait aussi Jim O'Rourke et le bruyant Merzbow demeure un des albums les plus joyeusement apocalyptiques qu'il m'ait été donné de goûter à ce jour.

Quelques mois plus tard, je me procurais "Unreleased?", la seconde galette de Fire!, un album sur lequel le trio collaborait avec l'omniprésent O'Rourke. La claque! Le bassiste Johan Berthling et le batteur Andreas Werliin (qui font tous deux également partie de la formation Angles 9 dont je parlais récemment) forment une section rythmique redoutable dont le travail rappelle autant le gros rock sale à la Black Sabbath que les spirales hypnotisantes du Krautrock. Sur les rythmiques que proposent ce duo du tonnerre, Gustafsson, un fils spirituel de Peter Brötzmann, fait rugir et hurler son sax comme un forcené.

Par hasard, j'ai écouté ce disque alors que la télé (dont le son était à mute) diffusait des images du conflit au Darfour. La musique de Fire! a alors pris tout son sens pour moi. L'implacable section rythmique me faisait penser au rouleau compresseur de cette guerre qui broyait tant de vies humaines. S'élevant au-dessus de ce martèlement impitoyable, le saxophone de Gustafsson - un des souffleurs les plus heavy qui soit - charriait toute le douleur, toute la misère du monde. Une trame sonore parfaite pour une humanité en train de s'auto-détruire.

Depuis, Fire! a fait paraître quatre autres albums. Il a également élargi considérablement ses effectifs pour donner naissance au Fire! Orchestra, phénoménal big band qui ramène la folie de Sun Ra et son Arkestra dans une formule bien d'aujourd'hui. "The Hands", le plus récent chapitre écrit par le trio nous propose des pièces relativement courtes (moins de dix minutes) et variées. En cela, il me rappelle un de mes disques favoris du groupe, "(Without Noticing)" paru en 2013. Nous ne nous retrouvons donc pas face à des projets plus ambitieux comme l'énorme "In the Mouth - a Hand" (2012), la suite majestueusement noire de "She Sleeps, She Sleeps" (2016) ou la démesure des trois albums du Fire! Orchestra.



La pièce-titre de l'album débute avec des sons électroniques qui grincent et qui grésillent. C'est Mats Gustafsson qui délaisse quelques instants son saxophone pour s'amuser avec des machines à faire du bruit. Johan Berthling y va alors d'une ligne de basse lourde au son bien sale et bien gras. Ce son de plomb et ces riffs qui tuent marquent le disque d'un bout à l'autre et contribuent grandement à l'atmosphère oppressante que l'on ressent en l'écoutant.

Dès le moment où Gustafsson se met à faire crier son saxophone, il n'y a plus moyen de revenir en arrière. Ce type joue avec une intensité dont peu sont capables. Il y met toute la gomme, que ce soit sur les morceaux rapides ou les pièces plus près du stoner rock telles "When her Lips Collapsed" ou "To Shave the Leaves. In Red. In Black." (Quels titres, quand même!) Il sait toutefois doser son énergie et jouer de façon presque caressante sur les atmosphériques "I Guard Her to Rest. Declaring Silence" et surtout la sublime "Touches Me with the Tip of Wonder" dont le calme avant la tempête est rempli d'une tension quasi insoutenable à cause de sa palette sonore toujours aussi lourde.

La performance du batteur Andreas Werlinn doit également être soulignée. Ce type est un percussionniste d'exception. Son travail dans le duo Wildbirds and Peacedrums avec sa conjointe, la chanteuse Mariam Wallentin (qui officie également dans le Fire! Orchestra) nous l'a maintes fois prouvé. Ici, il s'illustre tout particulièrement sur "Washing your Heart in Filth" et "Up and Down", deux pièces où son jeu complexe et précis est tout simplement hallucinant. Le contraste entre la vélocité de ses rythmiques et le saxophone incantatoire se Gustafsson fait des merveilles!

Pour la première fois, on peut entendre des voix humaines sur un disque de Fire! Les bribes de narration dans des langues étrangères que l'on peut entendre ajoutent un élément de mystère à cette musique déjà fascinante. Une nouveauté de plus pour un groupe qui ne cesse de sortir de sa zone de confort pour notre plus grand bonheur de mélomane. Nous sommes décidément en présence de l'une des formations les plus novatrices et excitantes de notre époque. Avec l'automne, viendra un nouvel opus du Fire! Orchestra. Cette fois-ci, un ensemble de cordes se joindra au big band. J'ai hâte d'entendre ça!


Re: Ma Main au Feu!

Publié : 05 févr. 2018, 22:55
par chibougue
J'aurais pu intituler cette chronique "Passe-moi un sapin suédois, deuxième partie".

Deux groupes made in Sweden de suite et le nom des deux commencent par FIR.

Je me trouve drôle...

Re: Ma Main au Feu!

Publié : 06 févr. 2018, 08:22
par VanBasten
Un hommage au patron de Ikea ... :think:

Re: Ma Main au Feu!

Publié : 06 févr. 2018, 11:48
par chibougue
Mmmmmouais...

;)

Re: Ma Main au Feu!

Publié : 27 févr. 2018, 18:50
par VanBasten
Finalement pu écouter le machin, la section rythmique m'a vraiment plu, quant au saxo il est fidèle à lui même, hyper-incandescent.

Un autre bel exemple de métissage de formes rock avec et du free tel The Thing et le Masque de Gorille.

Re: Ma Main au Feu!

Publié : 28 févr. 2018, 10:08
par chibougue
Avec du recul, "The Hands" est un très bon disque, même si une petite coche en bas des albums précédents du groupe. C'est un peu comme un réalisateur de films à qui Médiafilm attribuerait un (solide) 3 pour sa dernière oeuvre alors que ses films précédents s'étaient tous mérité des 2.