Dylan Carlson - Conquistador

par chibougue

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chibougue
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01 mai 2018, 21:04

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De Dylan Carlson, certains ne retiendront toujours qu'il a été celui qui a acheté l'arme à feu avec laquelle son ami Kurt Cobain a mis fin à ses jours. (Si je ne me trompe pas, c'est aussi Carlson qui a initié le chanteur de Nirvana à l'héroïne...) C'est bien triste car la vie de cet homme, qui doit avoir ce décès sur la conscience depuis plus de vingt ans, ne se résume pas qu'à cette navrante histoire. Il est aussi le leader de la formation drone metal - puis post-rock - Earth, une entité dont on n'a pas fini de mesurer l'influence sur les groupes de rock lourd qui aiment faire beaucoup de bruit avec leurs gros amplis.

En 1993, Earth faisait paraître "Earth 2", un disque déterminant pour la suite des choses dans la sphère bruitiste du rock expérimental. Ces accords pesants et implacables qu'on laisse mourir pendant de longues minutes d'angoisse, ces drones qui bourdonnent à n'en plus finir en ont influencé plus d'un à commencer par ceux qui sont devenus des divinités du drone metal, les deux moines de Sunn O))). Le membres du duo encapuchonné aiment d'ailleurs dire à qui veut bien l'entendre que pour eux, c'est le soleil qui tourne autour de la terre.

Après avoir mis Earth en jachère pendant quelques années, Carlson remettait le projet en branle en 2005 avec l'album "Hex: Or Printing in the Infernal Method", un disque avec lequel la formation prenait une direction plus americana sous l'influence du blues, du country et des musiques de westerns d'Ennio Morricone. Cet opus aux atmosphères désertiques avait été conçu par Carlson comme un pendant sonore au roman "Méridien de Sang" de Cormac McCarthy (probablement mon bouquin préféré du bonhomme, d'ailleurs). Puis, album après album, la traversée du désert est devenu de plus en plus glaciale. Le très beau diptyque "Angels of Darkness, Demons of Light" témoigne de cette approche plus épurée.

Carlson et son véhicule tout-terrien sont ensuite se sont ensuite aventurés en terrain plus rocailleux avec le très lourd "Primitive and Deadly" et en zone plus extra-terrestre dans le cadre de l'aventure "Concrete Desert" réalisée en tandem avec l'artsite électro the Bug. Maintenant, c'est sous son propre nom que le vieux bonze de Seattle nous fait paraître "Conquistador". Il ne s'agit pas de son premier album en solo (il a publié quelques disques sous le pseudonyme Drcarlsonalbion) mais cette fois-ci, on sent qu'il nous offre son oeuvre la plus intime. Tellement intime qu'il a choisi une photo de son épouse, la danseuse britannique Holly Carlson, pour figurer sur la pochette.



Madame Carlson accompagne aussi son mari dans cette nouvelle virée au coeur des dunes puisqu'elle joue de quelques percussions sur l'album. La musicienne folk/ambient Emma Ruth Rundle apporte également sa contribution à l'ensemble en y faisant vibrer les cordes de sa guitare baryton. On sent néanmoins que "Conquistador" est l'affaire d'un seul homme. C'est entre Dylan Carlson et sa guitare que l'essentiel se passe. Celui-ci réussit d'ailleurs à remplir le spectre sonore avec peu. En fait, l'univers de "Conquistador" est moins froid et dénudé que celui des disques les plus minimalistes de Earth comme les deux volumes de "Angels of Darkness, Demons of Light", par exemple.

L'album s'amorce avec la pièce-titre sur laquelle plombe l'ombre d'un drone intense. Une séquence de quelques notes est répétée pendant un bonne dizaine de minutes. L'inflexion bluesy que Carlson leur confère nous rappelle Ry Cooder et Neil Young. À la toute fin de ce trip méditatif, des couches de guitares se superposent et l'ensemble devient confus, étourdissant. Par la suite, "When the Horses Were Shorn of their Hooves" et "Scorpions in their Mouths" se font plus pesantes et saturées. L'électricité y grésille pas à peu près. Sur la seconde de ces pièces, les percussion jouées par madame Carlson viennent ajouter une tension dramatique à la limite du soutenable. En fin de parcours, "Reaching the Gulf" est un morceau plus lumineux. Il y a un peu d'espoir à la fin de cette randonnée en terrain basaltique.



Je mentionnais plus haut que par le passé, Carlson s'était déjà basé sur un roman de Cormac McCarthy afin de créer un album de Earth. Cette fois-ci, c'est le guitariste lui-même qui a imaginé le fil narratif qui a servi d'inspiration à la musique. Celle-ci raconte les pérégrinations du conquistador espagnol Álvar Núñez Cabeza de Vaca et de son écuyer Esteban dans le sud-est des États-Unis et au Mexique. Après avoir longuement voyagé à cheval, les deux hommes furent capturés par des autochtones qui en firent leurs esclaves. Ils sont par la suite devenus des guérisseurs, puis des commerçants avant de reprendre leurs explorations vers le sud.

Le voyage que réussit à nous faire faire Dylan Carlson avec "Conquistador" est moins périlleux mais tout aussi haletant. Pour moi, ce disque est plus qu'une parenthèse entre deux parutions de Earth. Carlson nous y démontre qu'il était possible pour lui d'aller encore plus à l'essentiel. Ceux qui, comme moi, sont capables de s'extasier devant les oscillations d'une note de guitare qui s'éteint doucement devraient être au paradis.


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Luc
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03 mai 2018, 12:44

« They don’t know how old I am
They found armour in my belly
From the sixteenth century
Conquistador, I think »
Gordon Downie

« He came dancing across the water
Cortez, Cortez
What a killer »
Neil Young, « Cortez the Killer »

Formidable texte, Chibougue : je ne puis qu’encenser une telle recension.

Un personnage, comme on dit, ce Carlson, avec son existence maganante et sa tête de guerrier des Hautes Terres d’Écosse (ça me rassure toujours de voir des gars plus jeunes que moi qui paraissent vingt ans de plus) .

Cabeza de Vaca, wouah! Ça me rappelle ce fabuleux film mexicain visionné au début des années 90. Il l’avait dure sa tête de vache, le bonhomme.

J’aime bien cette expédition brève et rugueuse dont le premier tronçon est un mantra guitaristique qui culmine par une stridulation nous ramenant directo à celle de Fripp dans « No Pussyfooting ». Vers la quatrième pièce, les accords grichous pourraient sortir de l’ampli du Neil Y. de « Mirror Ball » ou, encore plus, de « Le Noise » : des vibrations malaxées, transformées en pâte âpre. Carlson y arrive sans l’apport de Daniel Lanois, que j’imagine d’ailleurs aisément embarquer dans une semblable équipée.

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chibougue
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03 mai 2018, 14:56

Merci Luc. Content que ce petit disque que j'écoute à répétition te plaise à toi également. J'ai aussi pensé à "Le Noise". Même soin accordé au son de l'électricité pure. Même aisance pour l'artiste à remplir le spectre sonore sans autre arme que sa guitare en bandoulière.

En effet, Carlson a l'air beaucoup plus vieux qu'il ne l'est en réalité. Son combat avec les drogues dures et ses problèmes de foie y sont certainement pour quelque chose...

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chibougue
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03 mai 2018, 16:25

C'est quoi, ton film mexicain?

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chibougue
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03 mai 2018, 21:38

chibougue a écrit :
03 mai 2018, 16:25
C'est quoi, ton film mexicain?
Ok. Je viens de faire ma petite recherche. Ça date de 1991. Connaissais pas.

Je vais m'arranger pour le trouver et tenter l'expérience de le regarder sans le son en écoutant le disque de Carlson. :wink: