Nine Inch Nails - Bad Witch

par chibougue

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chibougue
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Inscription : 24 mai 2017, 11:45

22 juin 2018, 23:27

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Nine Inch Nails a été un des projets musicaux les plus marquants de la fin de mon adolescence. Avec "Pretty Hate Machine", premier album de l'entité artistique dirigée par Trente Reznor (en fait, Nine Inch Nails, c'est surtout lui), je prenais goût pour la première fois à la musique industrielle. Il faut dire que Reznor a eu le don de prendre ce son abrasif et de l'enrober dans une esthétique plus séduisante avec des mélodies plus accrocheuse. De plus, la façon dont il mettait son mal-être en musique ne pouvait que parler à l'ado romantique que j'étais.

Ensuite, avec "The Downward Spiral", ce fut la claque. Reznor mettait tout son talent de musicien et de producteur au service d'un projet pour le moins ambitieux qui ratissait très large (indus à la Skinny Puppy, metal électronique, ambient, pop dansante et une ballade mémorable qui fut ensuite reprise par Johnny Cash). La musique industrielle s'adressait finalement aux masses et l'album a connu un franc succès. Par la suite, "The Fragile" était aussi ambitieux mais certaines de ses compositions moins fortes ont fait que pour moi, il demeure dans l'ombre de son prédécesseur.

Après, "With Teeth" faisait moins dans la démesure, mais il était aussi beaucoup moins intéressant. Du rock plus standard à la limite radiophonique. Ce n'était pas mon Nine Inch Nails. En 2007, sur le sous-estimé "Year Zero" (Treznor n'avait plus vraiment la cote), on assiste à un retour vers un son plus électro, un genre de production où Reznor excelle d'avantage, je pense. Puis après le disque instrumental "Ghost I-IV", l'inspiration était moins au rendez-vous et NIN sonnait comme une pâle imitation de lui-même.

Reznor s'est alors lancé dans la création de musiques de films en compagnie d'un nouveau partenaire musical, Atticus Ross (anciennement de Bomb the Bass). Les deux hommes remportent beaucoup de succès avec ces projets et gagnent même un oscar avec la trame sonore de "The Social Network". Les environnements sonores que Reznor et Ross élaborent en tandem sont autant de réussites. Ce qui explique peut-être le fait qu'à partir de 2016, Atticus Ross devient officiellement membre de Nine Inch Nails qui se mute alors en duo.

Je crois que l'arrivée de Ross au sein de Nine Inch Nails a revigoré Reznor qui retrouve maintenant une créativité qui commençait à lui faire défaut. Le mini-album "Not the Actual Events" avait le son le plus corrosif et impitoyable que NIN avait eu depuis des années. Ensuite, "Add Violence", proposait une approche plus traditionnelle pour le groupe, mais ses compositions étaient dignes d'intérêt. Maintenant, avec "Bad Witch" (présenté comme un album complet même s'il ne dure qu'une demi-heure), Reznor et son pote sortent de leur zone de confort, essaient de nouvelles choses, et ça marche.

Les deux premières pistes au programme ne dépayseront pourtant pas trop les fans de NIN: mariage de rock lourd et d'électro, sonorités très caustiques, martèlement implacable, chant agressif de Reznor ; la recette gagnante, quoi! On ne s'y sent néanmoins pas le mec en mode pilotage automatique. Au contraire, les deux chansons sont animées par une rage qui les rend bien vivantes. C'est toutefois après que les choses deviennent franchement intéressantes. L'instrumentale "Play the Goddamned Part" déballe ses saxophones presque free jazz par moments et les fait évoluer dans un univers électronique énigmatique et parfois cauchemardesque. L'usage orignial des cuivres sur ce morceau m'a fait pensé au travail similaire de Radiohead ("The National Anthem") et Primal Scream (sur l'album "XTRMNTR").

Le saxophone est également présent sur la chanson suivante: God Break down the Door". Nous y sommes plongés dans un monde musical qui évoque l'album "Blackstar", inoubliable chant du cygne d'un des héros (et amis) de Reznor: David Bowie. Au lieu d'appuyer sur la pédale à fond et de miser sur l'agressivité, NIN y cultive une belle tension ambiguë. C'est dans cette ambiance de mystère que nous maintient la pièce suivante - une autre instrumentale - "I'm Not from This World". On sent, sur ce morceau aux textures sonores richement élaborées, l'influence du travail cinématographique des deux créateurs.

Idem pour "Over and Out" dont l'élaboration repose sur une musique créée par le duo pour un documentaire sur la guerre du Viêt-Nam réalisé par Ken Burns. Après une longue introduction atmosphérique dans laquelle on croirait entendre des marimbas, Reznor entonne une mélodie qui évoque une fois de plus le David Bowie de la dernière période. Cette pièce singulière clôt l'album de bien belle façon alors qu'un drone laisse les choses en suspend sur les dernières minutes. Ça rappelle la finale de "Hurt" sur "The Downward Spiral".

Cette "mauvaise sorcière" est, à mes yeux, la réalisation la plus aboutie de Nine Inch Nails depuis des lustres. Sur le plan compositionnel, nous n'atteignons peut-être pas les sommets des premiers disques de Reznor ("Pretty Hate Machine", le mini-album "Broken" et "Downward Spiral"), mais les nouveaux terrains qu'on y défriche fascinent. Le travail minutieux des deux acolytes au niveau de la réalisation y est aussi remarquable. De plus, si on se fie à son chant et ses textes, Reznor est plus allumé et enragé qu'il n'a été depuis un petit bout. L'actuel contexte politique aux États-Unis y est très certainement pour quelque chose. Malgré le découragement que m'inspirent les dernières frasques de Trump et sa bande (les familles de migrants qu'on sépare, le retrait américain du Conseil des droits de l'homme de l'Onu...). Ce retour à la forme pour Nine Inch Nails - un projet musical qui, je le rappelle, a bercé ma jeunesse - à de quoi me réjouir.