Alanis Obomsawin - Bush Lady

par chibougue

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chibougue
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01 août 2018, 13:14

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Alanis Obomsawin est surtout reconnue en tant que cinéaste. Depuis des années, ses documentaires font le portrait du sort que le Canada réserve à ses Premières Nations. Elle est elle-même issue du peuple Abénaki. Son oeuvre, conçue au sein de l'ONF, lui a valu une reconnaissance internationale et des récompenses de première importance telles que le Prix du Gouverneur général pour les arts du spectacle et nombres de doctorats honorifiques dans diverses universités. Elle est également membre de l'ordre du Canada depuis 1983.

Ce que peu savent, c'est que parallèlement à cette carrière de documentariste, madame Obomsawin a publié un album de musique dans les années quatre-vingt. Intitulé "Bush Lady", il a été enregistré en 1985 par le Service du Québec nordique de la société Radio-Canada. Le résultat final ne plut guère à l'artiste qui en fit paraître, de son propre chef, une seconde édition qu'elle réenregistra en partie et mixa à nouveau en 1988. N'ayant ni le temps, ni le goût d'en assurer la distribution, elle laissa sa pile de disques dans une boîte qui ne s'ouvrit pas pendant de longues années.

Intrigué par une vieille affiche promotionnelle, Frédéric Savard, un collègue d'Obomsawin à l'ONF, lui demande s'il peut avoir une copie de l'album. Elle lui répond qu'il peut prendre toute la boîte. Cela vient aux oreilles du musicien montréalais d'origine libanaise Radwan Ghazi Moumneh (alias Jerusalem in my Heart) qui recherchait le disque depuis des années. De fil en aiguille, la cinéaste redevient chanteuse et se produit sur la scène du (toujours intéressant) festival Le Guess Who aux Pays-Bas l'an dernier grâce à Moumneh qui est un des curateurs de l'événement. C'est aujourd'hui grâce aux bons soins de Constellation Records (écurie où loge Moumneh) que "Bush Lady" est enfin réédité.



En écoutant l'album, on se dit qu'il aurait pu être enregistré cette année. Les choix musicaux d'Alanis Obomsawin et de ses arrangeurs (Jean Vanasse et Dominique Luc Tremblay) font qu'on est en présence d'une oeuvre qui n'a pas pris une ride. En plus de madame Obomsawin à la voix et au tambour, on y retrouve un quatuor formé d'un violoniste, un flûtiste, un violoncelliste et une hautboïste. Musiques traditionnelles autochtones côtoient donc influences classiques et contemporaines pour nous donner un disque qui, même s'il a ses racines dans un passé lointain, a un son très moderne.

Aux arrangements, Vanasse et Tremblay ont fait un superbe travail. Le climat créé par les cordes que l'on entend tout au long de la pièce-titre du disque en est un exemple très éloquent. Malgré tout, le coeur de ces chansons, c'est ce que fait Obomsawin elle-même au tambour et à la voix. Comme le dit la chanteuse elle-même, "Le son du tambour, c'est le son de la vie, c'est le coeur qui bat." Puis, à cette pulsation qui donne vie à la musique, s'ajoute sa voix. Une voix douce, chaude, mais ferme en même temps. Une voix qui émeut l'auditeur, surtout quand elle n'a pas recours aux mots. Les vocalises remplies de douleur pour le sort des villageois attaqués par les Anglais sur "Théo" sont bouleversantes.



Ce que raconte cette voix est également important. Tout d'abord, elle reprend un chant abénaki datant de la fin du dix-neuvième siècle qui rapporte les mots qu'un castor adresse à une femme Waban-Aki: "Je vous vois, les Waban-Aki, vous perdez votre terre." Ensuite, en anglais, elle raconte les déboires de la bush lady (femme des bois) dans la ville moderne. Si elle a le malheur de se marier à un blanc, elle perd son statut d'autochtone, donc son identité. Puis, après un court poème en abénaki, elle passe au français pour relater la destruction du village d'Odanak par les Anglais en 1759. Finalement, elle retourne à l'abénaki pour reprendre a capella un chant traditionnel qui raconte la peine d'une petite fille qui retourne au village après s'être cachée pour éviter le massacre. "Je m'ennuie... Malianne s'ennuie... Où sont mes amis? Où sont les arbres? Odanak n'est plus."

Des chansons indispensables. Il faut remercier les disques Constellation pour donner une seconde vie à cet album qui a tout d'un classique oublié. Ce qu'il a à nous dire est toujours aussi essentiel.

En écoute sur Bandcamp:


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jon8
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01 août 2018, 14:32

Intéressant!

Merci Chibougue :excellent: :excellent:

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chibougue
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01 août 2018, 16:58

Oui. Un beau retour sous le soleil pour un disque qui le mérite.

De plus, une partie des profits est versée au Musée des Abénakis à Odanak.