Stephanie Richards - Fullmoon
Publié : 14 août 2018, 12:44
Habituellement, les mordus de musiques improvisées ne jurent que par la spontanéité. Ils apprécient les artistes qui marchent sur la corde raide de l'instant présent. Un instant que ces funambules du son savent saisir et qu'il est impossible de recréer. En écoutant "Fullmoon" de la trompettiste Stephanie Richards, je me demandais ce qu'ils penseraient de ce disque. La musique qu'il renferme est née suite à une séance d'improvisation avec l'artiste sonore Dino J.A. Deane qui échantillonnait madame Richards en direct. Celle-ci a ensuite retravaillé la musique en studio avec son conjoint, l'ingénieur du son Andrew Munsey, pendant près de deux ans. Adieu, la spontanéité?
Stephanie Richards est née au Canada, mais elle réside maintenant à New York, la Mecque de la musique improvisée. Elle enseigne également à l'Université de San Diego. Ses penchants musicaux sont très éclectiques puisque d'un côté, elle travaille avec des sommités du jazz expérimental comme Anthony Braxton, Henry Threadgill, John Zorn ou Butch Morris, alors que de l'autre, elle a déjà collaboré avec les Pixies, David Byrne, St. Vincent et même Kanye West. C'est du côté plus exploratoire de son travail que "Fullmoon" loge.
Avant d'enregistrer, Richards avait disposé des instruments à percussion (caisse claire, piano, gong, timbales...) en cercle dans la salle où elle allait se produire. C'est que l'approche qu'elle a adopté pour ce projet, est, ma foi, plutôt originale: elle plaçait la bouche de sa trompette contre l'instrument à percussion et jouait de façon à ce que son souffle interagisse avec sa surface. Elle se déplaçait ensuite selon un schéma préalablement établi et jouait de sa trompette alors que Deane l'échantillonnait, manipulait les sons qu'il avait ainsi recueillis et les relançait dans l'air afin que Richards puisse jouer en duo avec... une version modifiée d'elle-même!
Les trouvailles que nous propose ce duo qui unit la trompette "live" de Richards et la trompette échantillonnée Deane plairont aux amateurs de sonorités inouïes. Parfois, les deux trompettes se répondent comme celles de deux musiciens qui s'amusent à se relancer l'un l'autre. À d'autres moments, les boucles répétitives émises par l'échantillonneur à partir des sons qu'il a recueillis nous donne l'impression d'écouter un disque d'électro minimaliste. Ailleurs, les manipulations à travers lesquelles il fait passer les phrases de trompette nous plongent en territoires inconnus voisinant la musique électro-acoustique ou, comme sur "Timpani", le drone metal à cause de la lourdeur qu'il donne aux sons soufflés par Richards en leur conférant une tonalité beaucoup plus grave.
Aux rayons des propositions novatrices, madame Richards n'est pas en reste, elle non plus. En jouant de sa trompettes contre la peau d'un tambour, les cordes d'un piano ou le métal d'un gong, elle accouche des sonorités les plus intrigantes. On reconnaît parfois l'instrument frappé par son souffle comme la caisse claire de "Snare", par exemple. Cependant, d'autres sonorités comme les échos de ce qui semble être le frottement de sphères céleste sur "Gong" sont beaucoup moins identifiables. Le travail en studio dans lequel elle s'est lancée avec son conjoint pendant les deux années qui ont suivi l'enregistrement y est probablement aussi pour quelque chose.
Au final, la question à savoir si nous avons vraiment affaire à un disque de musique spontanée importe peu. Inclassable, logeant aux confins de la musique contemporaine, de l'ambient et du jazz de pointe, le résultat impressionne par son originalité et la diversité des paysages sonores qu'il nous fait visiter. On passe de l'apnée apaisante des passages les plus atmosphériques à la terrifiante impression de noyade qui nous attend vers la fin de "Timpani". Stephanie Richards se révèle être une créatrice inspirée et une excellente trompettiste d'influence free jazz. C'est avec beaucoup d'intérêt que nous allons suivre sa route!
En écoute dur Bandcamp:
https://stephrichards.bandcamp.com/