Un tubiste. Mais qu'est-ce que c'est, au juste, qu'un tubiste? Un fabricant de tuyau? Un expert en glissades sur chambre à air? Un compositeur qui se spécialise dans l'écriture de succès pour la radio? Un médecin qui étudie le système digestif des gens? Quelqu'un qui publie des tonnes de vidéos sur Internet? Aucune de ces réponses, bien entendu. Un tubiste - vous l'aurez peut-être deviné parce que le texte que vous lisez se trouve dans la section musicale de ce site web - c'est un joueur de tuba. Et Theon Cross en est un particulièrement solide.
Monsieur Cross utilise son instrument pour jouer la partie de basse des musiques auxquelles il contribue. Ceci n'a rien de bien révolutionnaire: les premiers ensembles jazz de la Nouvelle-Orléans avaient déjà souvent recours au tuba au lieu d'une contrebasse. Pour jouer en parcourant les rues de la ville, c'était plus pratique. Ce qui est beaucoup plus novateur avec la façon dont Theon Cross se sert du tuba, ce sont les lignes de basse qu'il joue en s'influençant de genres musicaux qui n'ont rien avoir avec les fanfares d'antan: le grime, le dancehall, le hip-hop, le dub...
Les différents textes que j'ai lu à propos de "Fyah" (version argotique de "Fire"), premier album de Cross, parlent à peu près tous de lui comme d'un joueur clé de la jeune scène jazz londonienne. Pas seulement parce que lui et son tuba sévissent dans les incendiaires Sons of Kemet, formation incontournable du jazz britannique, mais aussi parce que la dualité qui anime ce jeune homme (qui a un pied dans l'histoire du jazz - une musique qu'il chérit - et l'autre dans la rue où se bousculent toutes sortes d'influences plus modernes) est un carburant qui a su aviver la flamme de la note bleue à l'ombre du Big Ben.
Parmi tous les jeunes loups qui redonnent un coup de jeune au jazz british, on remarque Cross de plus en plus depuis quelques années. Il traîne son tuba dans les studios et les clubs de Londres et joue les sidemen auprès de nombreux artistes jazz de la ville, mais c'est surtout le trio qu'il dirige qui épate le plus la galerie: un trio de feu qu'il forme avec la saxophoniste Nubya Garcia et le batteur Moses Boyd, des musiciens qui, comme lui, revitalisent le jazz en y injectant des touches des musiques urbaines qui ont rythmé leur adolescence. Pour avoir une petite idée de l'énergie pure qui émane de ces trois artistes enflammés, visionnez la vidéo qui suit:
Non mais, quel feu d'artifice, mes amis! Ce trio fantastique joue sur six des huit pièces que compte "Fyah". La bonne nouvelle, c'est que le passage par le studio d'enregistrement ne lui a rien fait perdre de sa fougue. Le tuba sonne, la batterie cogne, le saxophone flamboie! Dès "Acitvate", premier morceau au programme, nous savons que nous avons affaire à de la musique qui enflamme tout sur son passage. Il en va de même pour "The Offerings" et "Radiation". Pourtant, à partir de "Letting Go", le trio se montre plus subtil et plus versatile. Les deux compositions exécutée avec l'aide d'autres invités (un guitariste, un percussionniste, un tromboniste et Wayne Francis qui remplace Nubya Garcia au saxophone) sont plus lumineuses: "Candace of Meroe" prend des airs de fêtes caribéenne alors que la splendide "CIYA" nous fait quitter le sol tout en douceur. De leur côté, "Panda Village" et la tellurique "LDN 's Burning" sont rehaussées par des petites touches de musique électronique.
Avec cette première parution en tant que leader, Theon Cross impressionne. On ne peut tout d'abord qu'être ébahi devant la maîtrise technique dont il fait montre avec son instrument. Mais comment fait-il pour faire sortir de ce tuba de telles lignes de basse? De quel sorte de poumons la nature l'a-t-elle doté? Incroyable! Le travail de réactualisation du jazz que Cross, le compositeur et le leader, nous propose est également remarquable. Oui, Londres est en feu et la horde de jeunes dragons dont ce musicien fait partie n'a pas fini d'attiser d'autres scènes jazz autour de la planète.