Baobab: le Drone Hardcore de Phill Niblock

par chibougue

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chibougue
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Inscription : 24 mai 2017, 11:45

26 mars 2019, 20:52

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J'aime le drone. Je sais, depuis quelques années, le genre est devenu très à la mode chez les hipsters toujours avides de coolitude. Je n'ai tout de même pas honte d'affirmer que ce type de musique me touche de façon tout à fait spéciale. Le drone a quelque chose de viscéral. Quand ses ondulations se mettent sur la même longueur d'ondes que mes vibrations intérieures, la magie opère. Je suis hypnotisé par cette musique qui semble venir d'avant l'invention de la musique; qui sait aller à l'essentiel, à l'essence même du son.

Avant de rejoindre un public jeune et branché par le biais de groupes metal (Earth, Bell Witch, Sunn o)))), de musiciens électro (Tim Hecker, par exemple) ou de formations post-rock (je pense à Labradford ou a l'avant-dernière galette de Godspeed You! Black Emperor), le drone était principalement pratiqué par des compositeurs avant-gardistes dits "sérieux": Giacinto Scelsi, Pauline Oliveros, La Monte Young, Éliane Radigue... L'américain Phill Niblock est un de ces précurseurs. Né en 1933, Niblock s'est tout d'abord fait connaître comme cinéaste expérimental et documentariste. Ce n'est qu'à l'âge de trente-cinq ans qu'il se tourna vers la musique.

C'est avec "Phill Niblock: Baobab" du Quatuor Bozzini que je découvre la musique de Phill Niblock. Les oeuvres qu'il contient ("Disseminate as Five String Quartet" dont la création remonte en 1998 et "Baobab" qui date de 2011) sont en fait des nouvelles versions pour quatuor à cordes de pièces créées précédemment pour de plus grands orchestres. Laissez-moi vous dire que j'ai été soufflé. J'avais rarement entendu de drones aussi massifs, aussi riches. Je me demandais comment diable les musiciens du Quatuor Bozzini avaient réussi à tirer une telle masse sonore de leurs instruments. La réponse est bien simple: pour chacune de ces oeuvres, Niblock et Thierry Amar (le bassiste de Godspeed You! Black Emperor) ont enregistré le quatuor à cinq reprises dans le réputé studio Hotel2Tango à Montréal. Ils ont ensuite superposé le tout de façon à ce que l'auditeur entende les cinq quatuors (vingt musiciens, donc) jouer simultanément.



Dans le texte qui accompagne la pochette du disque, on peut lire que le compositeur Robert Ashley comparait la musique de Phill Niblock à l'esthétique "drone hardcore" qu'ont adoptée des musiciens électroniques américains. Je ne suis pas familier avec ce courant artistique, mais je vois ce qu'il voulait dire. D'après ce que j'ai pu entendre en faisant un petit survol de son oeuvre, je constate que l'usage qu'il fait des technologies qui évoluent font de ses drones des murs du son toujours plus impressionnants. Écoutées distraitement, ces pièces monochromes semblent faites d'un seul bloc, mais dès qu'on les considère avec un minimum d'attention, on s'aperçoit que leur texture change sans arrêt. Les maniaques de son pur seront aux anges.

Pour conclure, je dois souligner la performance incroyable des membres du quatuor Bozzini. La richesse texturale des drones qu'on peut entendre sur cet album n'est pas due qu'au travail en studio de Niblock et Amar. Il faut une endurance quasi-surhumaine pour soutenir des notes aussi longtemps. On appréciera davantage le talent de ces instrumentistes en visionnant les vidéo que j'ai jointes à ce texte.



Une musique aussi radicale ne plaira certainement pas à tous, mais ceux et celles qui peuvent apprécier le genre y trouveront assurément leur compte.