AFTERMATH: Texte #2

par jon8

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jon8
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12 avr. 2020, 21:58

AFTERMATH: Texte #2 ''La Superficialité''


Je l'avoue, j'ai presque honte d'être heureux de cette crise. Pas heureux de la souffrance ni des morts, bien sûr, je ne suis ni sadique ni psychopathe, mais je suis heureux d'une chose en particulier: la possibilité de l'éclatement de la superficialité.

J'haïs la superficialité. Si on me demande ''Avez-vous des allergies?'' j'ai envie de dire ''Oui, à la superficialité''. Le small talk m'épuise, le manque de profondeur m'ennuie, être limité à la surface des choses, des discussions, des gens, de la vie... Ça m'étrangle. Ça m'asphyxie. Ça me tue.

J'en viens à la triste conclusion que je préfère vivre avec un virus mortel qui plane au dessus de ma tête -mais dans un monde moins superficiel- que de vivre en sécurité dans un environnement aseptisé par un manque de profondeur généralisé. J'ai détesté voir ce troupeau d'imbéciles être aussi superficiel, dans ce documentaire, Fyre, qui traite d'un gros party de luxe qui foire lamentablement. J'ai vu là dedans une énième preuve que l'humanité se dirigeait vers le mur. Certains pensent que ce mur c'est le problème de la pollution, l'environnement, la surconsommation, tout ça... Mais non, ça c'est des symptômes. Les gens confondent souvent les symptômes avec la source d'un mal. Mais maintenant que la médecine traverse son 15 minutes de gloire, ça aussi les gens vont l'apprendre. La source du mal, donc, l'envie irrépressible de rester à la surface des choses. Le confort de s'installer sur la croûte de la vie. Tinder, tiens. Le réseau de rencontres, vous savez bien. La compagnie derrière cette application, que des dizaines de millions de célibataires utilisent dans le monde, eh bien elle vaut 20 milliards de dollars. Tout ça sur le principe très simple de sauver du temps pour choisir son âme soeur, parmi les 2 ou 3 milliards de conjoints potentiels que la terre peut porter. Quelques secondes, des fois même juste une fraction de seconde, et puis on passe au suivant. Au nom de l'efficacité, la superficialité poussée jusqu'à l'absurde. Tout le monde y participe. Pire: on accepte de payer. L'illusion du choix infini. L'illusion d'une liberté totale, comme consommateur et comme en amour. Après tout, quelle est la différence...

J'ai aussi envie, au passage, de faire le procès d'une autre application hyper populaire: Instagram, le spin-off du monstre Facebook. Mais je ne sais même pas si je devrais vous en parler, vous la connaissez déjà sûrement et si ce n'est pas le cas -parce que vous êtes trop vieux ou trop déconnecté pour la connaitre- alors sachez que vous ne manquez pas grand chose. On en fait le tour assez rapidement. C'est ça le problème de la superficialité: on en fait le tour assez rapidement. On y retourne parce que tout le monde accepte d'y retourner, faute de mieux. Les gens n'ont rien à dire parce que personne n'est vraiment intéressé à prendre une putain de pelle pour creuser un sujet, même juste un peu. Et lorsqu'ils le font, c'est souvent par ennui. Ça fait mal aux bras, ça fatigue, ça sali. Surtout l'ego.
La superficialité donne l'impression que c'est facile. Tout. N'importe quoi. La bouffe superficielle, les achats superficiels, les gadgets superficiels. Tout est facile. Tout devient accessible, tout devient sécuritaire. Suis le manuel d'instruction de la vie, oui, oui c'est là regarde, c'est traduit en 128 langues. Les études, le travail, l'amour, les enfants, la maison, le chien, la piscine puis finalement les croisières, pour célébrer le crépuscule de cette vie à numéros.

Pendant ce temps, la vie passe. Cette rivière, ce fleuve, cet océan... Ça passe en dessous de la croûte qui est devenu un plancher. Notre plancher à tous. C'est le sol sur lequel est bâti la construction de notre humanité fièrement moderne. Et puis là, pouf. Une crise planétaire et tout s'écroule. En quelques mois, en quelques semaines. Fulgurant. On redécouvre les choses. D'abord ce qu'on prenais pour acquis pas plus tard qu'hier, puis on se redécouvre soi-même, un peu, beaucoup, trop peut-être. Ça fait peur être seul avec soi-même, à 2 mètres de tout le monde, pas tant que ça quand même... C'est un peu ça, l'apocalypse, avoir des rues désertes à soi, des autoroutes sans traffic, des sites touristiques vides, ce silence urbain qui angoisse plus qu'il n'apaise.

Et moi, je souris un peu dans ma barbe. Pas trop, pour ne pas déranger, mais je souris un peu. Je regarde ces fissures lézarder dans la croûte. Je vois des gens paniquer, je vois des gens paniquer devant les fissures sur le vernis de la superficialité. Ces gens ont peur ''qu'est-ce qu'il y a en dessous?!''. La vie, mon vieux. En dessous de ce vernis tout mince sur lequel tu bâtissais ton existence, la vie coûle à torrent. C'est un ruisseau, si tu veux, mais c'est peut-être un fleuve. Un océan. Une galaxie. Tu en fais ce que tu veux, c'est à toi, tu y plonge, tu navigues dessus, tu la bois si ça te dit. Elle est là. Elle a toujours été là. La croûte était mince mais opaque. Tu ne voyais ni n'entendais ni ne sentais rien.

Oh, la plupart des gens vont tenter de se reconstruire un sol croûteux de superficialité. Les gens ont besoin de ça pour vivre, n'en doutez pas non plus. Mais maintenant que les fissures sont bien visibles, il n'y a plus personne pour faire semblant qu'il n'existe pas de profondeur, en ce monde.

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jon8
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Inscription : 15 avr. 2017, 00:26

12 avr. 2020, 22:15

La plus belle chose arrive à ce 2e texte. Au bout de même pas 15min, je reçois des commentaires en privé comme quoi ce texte sur la superficialité est lui-même superficiel.

Magique.

Breaking news: c'est un forum de discussion. Pogne une crisse de pelle et vient creuser avec moi. Inscris-toi, si ce n'est déjà fait, et viens arracher une pelletée de bouette.

Tu vois c'que j'viens juste de faire, là, là?

You're welcome.

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Tomahack
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Inscription : 12 juin 2017, 21:07

12 avr. 2020, 23:13

Depuis les premières discussions sur QAV et ensuite Audioatrium, AFTERMATH: Texte #2 est certainement le texte qui me rejoint le plus. Tu viens de frapper une corde très sensible.