AFTERMATH: Texte #3

par jon8

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jon8
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13 avr. 2020, 11:51

AFTERMATH: Texte #3 ''La Fragilité''

Une des premières choses lues au début de la crise, de ce scientifique dont je ne me souviens ni du nom ni de la spécialité, il disait que ce n'était pas si pire que ça, ce virus. Non, pas si pire. Il expliquait que le pourcentage de mortalité était bas, le niveau de contagion aussi, relativement modeste, apparement.
Oh, bien sûr, il passe ses journées avec des virus et des bébittes microscopiques alors il côtoie le pire de la planète. Nous, eh bien, c'est le pire qui se passe en ce moment. C'est déjà le cauchemar. Mais dans l'absolu, ce n'est même pas le pire virus possible. J'ai pensé un peu à ce scientifique. Tout d'abord, j'en entend parler à fond la caisse depuis 4 ou 5 semaines de ce virus là et j'en suis déjà écoeuré, moi qui suis pourtant curieux de nature. Lui, imaginez-vous, il a étudié des années là dedans, et c'est pour les étudier toute sa vie. Il sait sûrement de quoi il parle, lorsqu'il dit qu'il y a pire.

Puis je me suis mis à penser à notre fragilité. La fragilité de l'humain. On le sait, que nous sommes fragiles, les écolos nous frisent les oreilles depuis des années avec la planète qu'il faut sauver de toute urgence. Mais on nous répète aussi, du même souffle, que l'homme envahi la planète avec ses grosses bottes de superprédateur dominant. C'est difficile, pour le commun des citoyens, s'imaginer de la force brute et de la fragilité dans la même boîte. Moi j'ai eu de la misère, en tout cas. Mais lorsque ce scientifique, appelons-le Bob, lorsque Bob a dit qu'il y avait bien pire dans la jungle des virus, j'ai compris.

Nous dominons les grosses bébittes sans problème, même les gros requins de 3 tonnes, on en fait des films comiques. Les lions, les tigres, les ours, les loups, les rhinos, les éléphants. Aucun problème. C'est les petites bébittes invisibles, finalement, dont il faut se méfier. La menace venait de l'angle mort. Pas si mort que ça puisque Bob a étudié là dedans. Il dit qu'il y a pire, possiblement bien pire. Un facteur de contagion 4 ou 5 fois pire, et un taux de mortalité 10 ou 20 fois pire. Personne ne veut vraiment penser à ça. Pas maintenant. Mais demain?

Fragile, notre santé. Mais ce n'est pas là, que notre réelle fragilité se trouve. C'est un mot dont vous êtes déjà habitué dans ce texte: il y a pire. L'humain est un animal qui se détache des autres animaux par sa capacité d'organisation. Une capacité d'organisation sociale, un peu comme les loups, justement, mais peut-être plus les abeilles ou les fourmis. Mais il y a plus, l'humain est conscient de son organisation, ce n'est pas juste de l'instinct pur, c'est réfléchi, c'est conscient, c'est intelligent. C'est surtout complexe, ultra-complexe. On enracine nos vies dans des millions, des milliards d'endroits, chemins, tunnels, virtuels, physiques ou sociaux. Ces bazillions d'engrenages font fonctionner une complexe machine planétaire. Ou même locale. Le village loin de tout n'y échappe pas. Renseignez-vous; c'était déjà complexe au moyen-âge, l'organisation humaine. Imaginez maintenant. Tout s'entrelace, partout et tout le temps. Aux hippies dans la salle qui fantasment déjà sur le retour du troc préhistorique, oubliez ça. L'humain va vivre ou s'éteindre avec son sens de l'organisation ultra-complexe.

Tout le monde a déjà vu des dominos, par centaines, alignés un derrière l'autre. Puis un tombe. Il fait tomber le voisin, qui fait tomber le voisin, qui fait tomber le voisin... Allez voir les vidéos. C'est très joli, c'est poétique, même. Un travail de moine à organiser, puis en quelques secondes tout s'effondre. La beauté tient dans le fait que c'est parfaitement prévisible, cet effondrement. On peut suivre le mouvement des yeux, c'est fluide, c'est précis, c'est un effondrement organisé. Mais tous les dominos se retrouvent à terre quand même. Au bout de quelques secondes, plus rien ne bouge. La danse est terminée.

Je ne sais pas si l'humain peut supporter le mode de désorganisation des dominos. Un seul domino mal aligné et plus rien ne fonctionne. Une partie reste debout, l'autre partie est à terre. Des fois c'est l'avant-dernier domino qui refuse de tomber, des fois c'est dans les premiers. Les conséquences ne sont pas exactement les mêmes. Bob pense qu'il y a pire. Il y a des virus qui pourraient faire tomber presques tous les dominos. Mais Bob étudie les virus, pas l'économie. La vraie fragilité de l'humain c'est son organisation sociale-économique. Bob dit que le virus avec lequel on mène un combat historique n'est même pas le vrai gros méchant virus.

Alors je pose la question, qu'arrivera-t-il si, un jour, cet hypothétique méga virus méchant débarque avec ses grosses bottes de supervirus dominant?

J'ose une réponse: ce sera une guerre mondiale. Mais pas celle que vous croyez. La première guerre de l'histoire de l'humanité qui ne concerne pas les humains entre eux. Voilà, ce genre de guerre on l'a vu dans les films, on l'a lu dans les livres, et ça concernait les extra-terrestres, l'invasion des grosses bébittes tentaculaires grises ou vertes. Pas des minuscules virus. Saviez-vous qu'un virus ce n'est même pas vivant? C'est un genre de parasite inerte qui prend vie seulement lorsqu'une cellule vivante l'active. Imaginez. Une guerre mondiale contre quelque chose de même pas vivant pour de vrai, et quand ça le devient, c'est de notre faute.

Bien sûr, on a connu des guerres du genre avec la peste ou la grippe espagnole. Mais le contexte est différent. On va déjà se faire mondialement désorganiser. Les dominos qui tombent, ce n'est pas les morts du virus, ce sont les organisations, privées et publiques, petites et grandes, qui tombent. Des états en entier, aussi. Des villes désorganisées, des chaines de logistique éclatées, des pays en faillite, de l'inflation galopante, des gens pauvres encore plus pauvres, de la famine, de la détresse, encore plus de maladies... La fragilité de l'organisation sociale. Quelques degrés nous séparent des animaux de la forêt, et c'est grâce à une seule chose: l'organisation.

Cette guerre actuelle contre le virus n'est pas la pire possible, selon Bob. Mais elle donne un avant-goût de l'étendue de notre fragilité. Déjà, avec 1-2% de mortalité, on sait qu'il est possible de se faire désorganiser mondialement au moins 6 mois, 1 an et peut-être au delà. Comme dans toute véritable guerre, il y a des sacrifices à faire. Nous y goûtons actuellement, mais pas tant que ça.
Avec un virus à 10% ou 15% de taux de mortalité, ou seulement qui atteint plus les enfants, la dynamique changerait totalement. Les gens, nous, toi, moi, nous réagirions différemment. Nous serions déjà ailleurs. Les effectifs ne seraient pas suffisant, même avec la meilleure préparation possible. Ces douloureux sacrifices deviendraient inévitables. La machine, ce coup-ci, ne pourrait pas arrêter pour tenter de sauver tout le monde. La machine qui arrête trop longtemps, devient elle-même la mort. L'humain n'est dominant que parce qu'il est organisé. Aussitôt que tu lui enlève sa capacité d'organisation et les outils qui vont avec, tu le condamnes à retourner dans la forêt, là où il se fera manger, métaphoriquement parlant. Ou pas.

Je vais terminer ce texte sur une note positive, deux notes positives, même, parce que sans vous en rendre compte c'est ça que je fais depuis le début de mon projet Aftermath, anyway. Mais je dois vous aviser tout de suite: il pleut chez moi. Je n'ai pas l'âme à étendre une couche de sucre sur le jujube rose qui vous fait saliver. Soyez donc indulgent et appréciez ce que je vous offre comme message d'espoir.

La première note positive, donc, c'est que l'humain va probablement toujours retrouver son chemin, même après la plus cataclysmique des désorganisations imaginables. La deuxième c'est que l'erreur est humaine, Bob a peut-être tort.