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Ouf.
Dans cette conversation d’une heure, Brett Easton Ellis a souvent insisté sur l’importance de dire ce qu’on pense, de toujours dire ce qu’on pense.
Il s’inquiète de l’air du temps qui pousse à l’autocensure, qui pousse tant de gens à dire les « bonnes » choses, plutôt que de dire le fond de leur pensée. La peur de se faire brûler au bûcher numérique pour un mot mal choisi, pour une pensée un peu carrée ou une réflexion qui diverge de l’orthodoxie du groupe auquel on appartient – surtout à gauche, croit-il –, teinte à peu près tout ce qui se dit, se crée et se pense de nos jours.
Je vous cite un extrait d’un passage particulièrement inspiré qui couvre les pages 95, 96 et 97 : « Quand la nudité et l’idée d’une gratification deviennent une telle routine que vous pouvez instantanément vous connecter à quelqu’un et que vous pouvez voir en quelques secondes des photos de nu de ce partenaire sexuel à venir immédiatement, un échange aussi ordinaire que la commande d’un livre sur Amazon ou le téléchargement d’un nouveau film sur Apple – cette absence d’investissement rend alors tout équivalent. Si tout est disponible sans effort ou sans un récit dramatique quelconque, qui se soucie de savoir si vous l’aimez ou pas ? Et l’excitation trépidante – le suspense – liée à l’effort que vous faisiez autrefois pour trouver une image érotique s’est maintenant perdue avec la facilité lo-fi de l’accessibilité, qui a en fait changé notre expérience de l’attente. Il y avait quelque chose d’idyllique dans cette ère analogique, une ardeur, une altérité, qui font défaut dans l’âge numérique du post-Empire où tout a fini par donner l’impression d’être jetable. »
En cette époque numérique, BEE constate l’évidence : le roman a perdu son statut de plateforme toute-puissante pour dire les choses. On vit la fin de 200 ans d’influence sociale, politique et philosophique des mots écrits sur des arbres morts.
« Il y a une baisse de l’intérêt suscité par les livres, dit-il. Je lis des livres tout le temps. Je lis les nouveaux romans. Je fais des listes de romans que je veux me procurer. Mais je n’ai plus de conversations à propos des livres. Le roman est devenu quelque chose de niché, il n’est plus au centre de la conversation culturelle, comme c’était le cas avant l’internet, avant que nous ayons toutes ces distractions, comme dans les années 80, jusqu’aux Corrections de Jonathan Franzen (en 2001), un livre dont tout le monde a parlé pendant un an…
En entrevue, il y a une sorte de résignation douce quand Easton Ellis parle de l’érosion de l’influence du livre au XXIe siècle, du recul du goût de la lecture. Je lui demande s’il faut s’attrister de ce recul.
« Je ne sais pas, répond-il. Les choses changent. Les temps changent. Les besoins changent, dans la société. Et… Et les livres ne disparaîtront jamais. Ils seront toujours lus, écrits. »
Ça ressemble à ce que je ressens.jon8 a écrit : ↑24 nov. 2019, 12:59
Y a quelque chose d'étrange qui se passe, en tout cas. Comme s'il était impossible, à mes yeux, qu'une telle période de vide/folie/superficialité puisse durer dans le temps sans que quelque chose explose, ou implose, d'une manière ou d'une autre. Encore là, je m'égare peut-être dans un cocktail paradoxal de cynisme et d'optimisme.
Je ne sais pas, mais on en a besoin, de ces quelques insubmersibles qui restent en haut du niveau de l'eau. Sans ces gens-là, il n'y a juste plus rien qui aille du sens...jon8 a écrit : ↑24 nov. 2019, 12:59Peut-être qu'écrire un livre c'est aussi, et surtout, un moyen pour grimper sur la pointe majestueuse de l'iceberg et ainsi éviter de rester dans cet eau. Peut-être que mourir de faim avec 3000 piasses par année est une meilleure option que de bouffer de la merde de bébitte dans les profondeurs glaciales...