D'autres ont suivi ses traces. Je pense principalement à Mats Gustaffson, Paal Nilssen Love et Martin Küchen. Ce dernier est, depuis quelques années, la tête dirigeante de l'ensemble Angles 9 (qui s'appelait à l'origine Angles 6 puisqu'elle comptait au départ six membres). "Disappeared Behind the Sun", le troisième album du nonette suédois a fait son apparition dans les bacs en début d'année. On y retrouve une fois de plus des cuivres à la tonne, une section rythmique qui tue et des intentions politiques puisque Küchen fait partie de ceux qui croient que la musique instrumentale peut passer un message.
L'album, qui est dédié aux prisonniers politiques qui disparaissent sans laisser de traces, s'ouvre avec un morceau intitulé "Equality and Death (Mothers, Fathers, Where Are Ye?)". Celui-ci démarre avec les cris de douleur du saxophone ténor de Küchen. Son jeu est triste et torturé. Puis, arrive une rythmique implacable martelée par le toujours très bon Andreas Werliin. La section de cuivre se joint avec un riff des plus inquiétants. La table est mise. Küchen et sa bande n'auraient pas pu mieux illustrer le désarroi du prisonnier face à son sort inexorable.
Musicalement, on croirait entendre une fanfare des Balkans propulsée par une énergie punk-rock. La musique du groupe porte aussi l'influence des ensembles incandescents qui l'ont précédé dans la voie plus militante du jazz, que ce soit le band de Charles Mingus, le Liberation Music Orchestra de Charlie Haden ou le Brotherhood of Breath. de Chris McGregor. On y décèle également des couleurs orientalisantes, ce qui est très à propos quand on sait le traitement infligé aux prisonniers politiques dans certains pays du Moyen-Orient comme l'Arabie Saoudite ou la Palestine occupée.
"Disappeared Behind the Sun" est une création d'équipe. Il y a peu de place pour les solos ou les démonstrations de virtuosité individuelle. Certains instrumentistes réussissent tout de même à tirer leur épingle du jeu. Je pense à l'excellent trompettiste Magnus Broo, au tromboniste Mats Äleklint (qui brille sur sur la dernière pièce) ou au vibraphoniste Mattias Ståhl qui pimente la musique de la formation avec sa touche personnelle. Toutefois, c'est surtout Andreas Werliin, un des meilleurs batteurs de l'heure, qui me vient à l'esprit. Avec son jeu métronomique, il réussit tantôt à créer une atmosphère oppressante et lourde, tantôt à propulser l'ensemble vers des sommets plus lumineux.
Et c'est là une des plus grande force de la musique d'Angles 9. Elle sait autant évoquer les tourments et la douleur des opprimés qu'exprimer la joie à l'état pur. Comme les troupes dirigées par Mingus, Haden ou McGregor hier, elle nous fait la démonstration qu'en étant solidaire, on peut s'indigner tout en célébrant la vie.