
Il se fait de la musique sur toute la surface du globe et, même avec internet, il n'est pas facile de suivre toutes les différentes scènes qui ont éclos un peu partout sur notre bonne vieille planète. La Corée du Sud? D'un point de vue musical, à part l'amusant "Gangnam Style" et quelques autres machins k-pop un peu trop sucrés à mon goût, je ne peux pas dire que j'y connais grand chose.
Le phénomène k-pop m'intrigue tout de même un peu. Je travaille dans le milieu de l'éducation et je remarque que de nos jours, les ados vêtus de noir qui veulent se démarquer du troupeau plus sportif se tournent vers ce genre musical. Un peu comme ceux de ma génération qui écoutaient du Depeche Mode ou du The Cure au lieu de vénérer les imbuvables New Kids on the Block. En autodidactes, certains d'entre eux se sont même mis au coréen! J'imagine qu'à notre époque où le monde entier se trouve au bout d'un clic de souris, il s'agit de la façon la plus in d'être différent.
Bien sûr, la vie musicale sud-coréenne ne se résume pas qu'à la k-pop. Le pays du matin calme a aussi ses musiciens classiques, sa scène jazz, son avant-garde. Je pense à des artistes aussi divers que la chanteuse jazz Youn Sun Nah ou la violoncelliste noise (relocalisée à New-York) Okkyung Lee. La musicienne et compositrice Park Jiha, que je viens tout juste de découvrir, représente elle aussi ce côté moins givré de la Corée.
Son dada, c'est l'intégration d'instruments coréens traditionnels dans une musique résolument plus moderne. Elle joue, entre autres, du piri (un instrument à vent à anche double fait de bambou), du saenghwang (un orgue à bouche) et du yanggeum (un cousin du tympanon dont elle frappe les cordes avec un maillet). Sa musique, quant à elle, relève autant de la musique folklorique de son pays que du minimalisme américain, du free jazz ou d'un jazz de chambre plus éthéré comme on en retrouve chez ECM, par exemple.
"Communion", le premier album de Park Jiha, est sorti en Corée du Sud il y a deux ans. L'étiquette allemande Glitterbeat en assure maintenant la distribution à l'international. L'artiste y est entourée du vibraphoniste John Bell, de Kang Tekhyun aux percussions ainsi que de Kim Oki à la clarinette basse et au saxophone ténor. Il s'agit d'un des disques les plus originaux que j'ai pu entendre dans les dernières années. L'instrumentation particulière (surtout les instruments traditionnels coréens joués par la créatrice) y est bien sûr pour quelque chose, mais la musique elle-même est riche en ambiances mystérieuses et en contrastes étonnants.
Le morceau d'ouverture débute avec des turbulences sonores digne d'un disque de free improv à l'européenne, mais une mélodie toute simple jouée par l'orgue à bouche vient changer la donne quelques secondes plus tard. Bel effet de contraste entre le son chaleureux de cet instrument et un arrière-fond plus âpre. En général, le tempo est d'un calme lunaire, mais des irruptions quasiment insoutenables ponctuent certaines des pièces au programme comme "Accumulation of Time" avec ses stridences inattendues, "Sounds Heard from the Moon" avec son déraillement spectaculaire ou "All Soul's Day" qui prend soudainement des allures de cauchemar free jazz particulièrement effrayant.
Une écoute particulièrement dépaysante, donc. Et une oeuvre des plus inclassables. On a souvent l'impression d'entendre du contemporain minimaliste joué par des extra-terrestres. La présence du saxophone sur les deux dernières pièces leur confère une saveur plus près du jazz. L'amateur de textures sonores que je suis y a pris son pied. Qu'elles soient douces comme de la soie ou abrasives comme de l'acide sur les tympans, les sonorités qu'on rencontre dans ce voyage en pays inconnu sauront plaire aux oreilles curieuses.